La seule source de stress pour la famille Iniguez, c'est peut-être ça : l'incompétence de leur avocat. Je crois que je vais me la faire encadrer, sans déconner. La prose de ce mec est un morceau d'anthologie. Il arrive quand même à insinuer qu'il pense qu'ils auraient gagné devant, dit-il, « ce qui était sûr qui aurait été un jury acquis d'avance à votre cause ». J'adore cette conclusion : « ce qui était sûr qui aurait été ». N'importe quoi. Il a dû se faire maltraiter quand il était enfant, je sais pas. Mais bon, on ne va pas s'appesantir.
Les dieux de la chirurgie étaient jaloux et cruels, et Jonah avait fauté. En tant qu’étudiant de troisième année, il ne pouvait guère espérer faire plus que suturer, écarter, aspirer. Comme tout apprenti, son véritable rôle n’était pas de se rendre utile mais de donner raison à la hiérarchie. Il était là pour souffrir, ainsi que tous les médecins qui l’avaient précédé à cette place.
C'était ça la vie, parfois on faisait des choses qu'on n'avait pas envie de faire.
Secouant la tête, Jonah marcha vers le coin du salon où une table pliante ployait sous une pile d'énormes livres brochés. Comme la plupart des étudiants en médecine, il obéissait au mythe selon lequel le savoir est proportionnel au nombre de manuels possédés.
Il s'agrippait à elle car sans elle son avenir n'était qu'une étendue de néant. Il lui fallait une cause.
Un puissant vortex de jargon médical, un gouffre d'incompréhension séparant les patients des soignants, les non-initiés des élus, un vocabulaire pesant et confidentiel qui, une fois intégré, rendait toute conversation impossible dans la vraie vie.
La vie avance à un rythme qui ne nous arrange pas toujours.
A son grand regret, au cours des deux dernières années il en était venu à craindre et à détester la lecture. Un de ces jours, il reviendrait du front et il se remettrait à lire pour le plaisir.
La lumière du soleil sculptait les visages : un gosse désenchanté dribblant avec un ballon de basket ; une ado tatouée empruntant la clope de son copain pour allumer la sienne ; un clodo au sourire narquois partageant un banc avec un vieux monsieur vêtu d'un pantalon en polyester qui jetait des miettes aux pigeons. Tous avaient l'air de le saluer d'un signe de tête, de lui dire : " On sait ce que tu as fait. "
La façon dont on nomme les choses détermine la forme qu'elles prennent dans votre coeur.