Il n'y a pas la moindre différence entre la prison et le maquis. Aux deux, il y a des chefs. Les autres sont des esclaves, et des esclaves de la pire espèce... Les chefs, ils vivent comme des hommes ; les autres, comme des chiens.. Toi, tu deviendras un chef ; mais ne traite pas les autres en esclaves ! Que cela soit le secret de ta vie.
Quand Mèmed prit en main le bol de soupe chaude, il se rappela la soupe qu'il avait mangée des années auparavant, devant la même cheminée, grelottant comme en ce moment. Il était seul, alors. Il avait peur. Il avait peur de tout. La forêt avançait vers lui. Il avait peur. A présent, il était courageux, décidé. Le monde s'était ouvert, agrandi. Il savourait la liberté. Il ne se repentait pas du tout de ce qu'il avait fait. (p. 153)
Juge les hommes sur leurs actes et non sur leurs paroles. Après, tu choisiras celui qui sera ton camarade.
Quand on enlève une fille, on ne se retourne plus pour regarder derrière.
Le sergent Assim était dégoûté de la vie : "Ce scélérat de Mèmed le Mince, je n'arrive pas à m'en débarrasser ! disait-il. S'il allait ailleurs et me fichait la paix ! S'il pouvait me ficher la paix !... "
Les gendarmes aussi étaient épuisés, ils n'en pouvaient plus :
— En plein hiver, tous les jours que le Bon Dieu fait, parcourir le Mont-Taurus ! Et quoi encore ?... gémissaient-ils.
Chaque fois qu'ils trouvaient une piste ressemblant à celle d'un homme, ils la suivaient ; quand la neige était piétinée, ils s'engageaient à l'aventure, pendant des jours. A cause de Mèmed le Mince, ils avaient arrêté bien d'autres bandes de brigands.
Et depuis un mois, ils tournaient autour du Mont-Ali. Tout cela, parce qu'un petit berger qu'ils avaient attrapé et battu avoua avoir vu Mèmed le Mince sur la montagne.
[Yachar KEMAL, "Mèmed le Mince" [Ince Memed], 1955, chapitre XXXIX -traduction de Güzin Dino, 1961 - page 527 pour l'édition Gallimard coll. "folio"]
Quand on est bandit, il faut commencer par impressionner ceux qui sont autour de vous …
Si on sépare des amoureux, crois-tu qu’on puisse être heureux soi-même, Ali ? Sache-le : celui qui détruit un nid voit son propre nid détruit ! Quand les deux amoureux se sont unis, tout le village les a fêtés. Tu seras pareil à un arbre pourri. Tout un village sera ton ennemi.
J’ai appris qu’Abdi est agha, à présent, qu’il fait travailler les villageois comme des serfs et qu’il les laisse mourir de faim, qu’en hiver tout le monde se meurt de faim. On dit que, sans son autorisation, personne ne peut se marier, personne ne peut même sortir du village. On dit qu’Abdi, dans le village, tue les gens sous le bâton ; qu’il fait la loi dans cinq villages ; qu’il en est le roi ; qu’il fait ce que bon lui semble …
Jamais bandit ne sera maître du monde.
Et l’honneur de notre bourg, alors ? Il est comme une fleur. La réputation du bourg, ne la salissons pas !