Citations sur Sur la route (448)
Oui, bien sûr, je sais exactement ce que tu veux dire et, de fait, tous ces problèmes se sont présentés à mon esprit mais ce que je brigue c'est la concrétisation de ces facteurs qui dépendraient au premier chef de la dichotomie de Schopenhauer pour une part intimement accomplis...
Les ténèbres absolues qui s’abattent sur la prairie dépassent l’imagination de l’homme de l’Est. Il n’y avait pas d’étoiles, pas de lune, pas la moindre lueur, sinon dans la cuisine de Mrs. Uhl, une lampe. Au-delà des ombres de la cour, on avait une vue imprenable sur le monde - invisible jusqu’à l’aube.
En Amérique, les garçons et les filles ont des rapports si tristes ; l’évolution des mœurs les oblige à coucher ensemble tout de suite, sans avoir parlé comme il faut. Non pas parlé-baratiné, mais parlé vrai, du fond de l’âme, parce que la vie est sacrée, et chaque instant précieux.
Une fois de plus, nos valises cabossées s'empilaient sur le trottoir ; on avait du chemin devant nous. Mais qu'importe : la route, c'est la vie.
L'est, c'est le pôle du brun et du sacré, me disais-je, tandis que la Californie est blanche et sans âme, tel le linge sur la corde.
P 219
Alors, en Amérique, quand le soleil décline et que je vais m’asseoir sur le vieux môle délabré du fleuve pour regarder les longs longs ciels du New Jersey, avec la sensation de cette terre brute qui s’en va rouler sa bosse colossale jusqu’à la côte Ouest, de toute cette route qui va, de tous ceux qui rêvent sur son immensité, et dans l’Iowa je sais qu’à cette heure l’étoile du Berger s’étiole en effeuillant ses flocons pâle sur la prairie, juste avant la tombée de la nuit complète, bénédiction pour la terre, qui fait le noir sur les fleuves, pose sa chape sur les sommets de l’Ouest et borde la côte ultime et définitive, et personne, absolument personne ne sait ce qui va échoir à tel ou tel, sinon les guenilles solitaires de la vieillesse qui vient, moi je pense à Neal Cassady, je pense même au vieux Neal Cassady, le père que nous n’avons jamais trouvé, je pense à Neal Cassady, je pense à Neal Cassady.
Qu'est-ce qu'on éprouve quand on s'éloigne des gens, et qu'on voit leur
silhouette diminuer dans la plaine, jusqu'à n'être plus qu'un point qui
finit par se dissoudre ? Le monde est trop grand, il nous engloutit.
Folio - Le rouleau original - p310
Car, n'est-ce pas, on entre dans la vie, mignon bambin confiant sous le toit de son père. Puis vient le jour des révélations de l'Apocalypse, où l'on comprend qu'on est maudit, et misérable, et pauvre, et aveugle, et nu ; et alors, fantôme funeste et dolent, il ne reste qu'à traverser le cauchemar de cette vie en claquant des dents. Je suis sorti chancelant, égaré. Je ne savais plus ce que je faisais. Je ne voyais du matin qu'une blancheur, une blancheur de linceul. Je mourais littéralement de faim. […] Je ne savais pas faire la manche. Les jambes flageolantes, à bout de forces, j'ai eu bien du mal à me traîner aux limites de la ville. Je savais que je me ferais arrêter si je passais une nuit de plus sur place. Maudite cité! Fichu matin! Où étaient-ils les matins de mes visions d'enfant ? Que faire ici-bas ?
Car on ne pouvait pas s'y tromper, ils étaient Indiens, ces gens, et ils n'avaient rien à voir avec tous les poncho et les Pedro du folklore américain débile : pommettes saillantes, yeux bridés, manières feutrées ; ce n'étaient ni des crétins ni des clowns, mais de grands Indiens graves, pères et origine du genre humain. Et ils le savaient en nous voyant passer, nous les Américains m'as-tu vu et plein aux as, en cavale sur leurs terres ; ils savaient qui était le père et qui était le fils au commencement des temps, alors ils ne faisaient pas de commentaire.
Au surplus nous connaissons l'Amérique, nous sommes chez nous ; je puis aller n'importe où en Amérique et avoir ce que je veux parce que c'est pareil dans tous les coins ; je connais les gens, je sais ce qu'ils font. Nous donnons et nous prenons et nous démenons de tous côtés dans une douceur zigzagante d'une incroyable complication.
(Dean Moriarty)