Ce livre a une particularité, qui n'est pas apparente à ce stade. L'histoire se déroule en 2013, c'est à dire l'année de cette édition au
Livre de Poche, mais elle a été écrite et publiée en Angleterre en 1992. C'est donc une ville de Londres dystopique et futuriste que
Philip Kerr décrit, avec un certain succès. En effet, s'il n'a pas anticipé le passage des disquettes et CD-Rom à la clé USB – qui, en 2013, utilisait encore un CD-Rom ? -, bien d'autres caractéristiques très actuelles sont assez justement décrites !
La société que nous décrit Kerr a connu un tournant sécuritaire ; la surpopulation carcérale a amené toute l'Europe a opter pour un système de « coma punitif », beaucoup moins coûteux et plus simple à mettre en oeuvre que la construction de prisons ; le racisme semble avoir largement pris ses quartiers dans la société britannique, notamment depuis l'accueil massif de réfugiés hongkongais – rappelons que la Grande-Bretagne a rétrocédé Hong-Kong à la Chine en 1999, et si cela n'a pas généré, en réalité, d'exode massif, on a vu depuis une montée des contestations, jusqu'aux grandes manifestations de 2019 et 2020 – ; le monde semble également confronté à de grandes sécheresses…
La construction de ce livre est assez simple : les chapitres voient l'alternance de la description de l'enquête, à l'occasion de laquelle on suit Jake Jacowicz et l'équipe dont elle s'est entourée – un informaticien, un professeur de philosophie de Cambridge, en plus des policiers -, et le monologue intérieur du tueur, lequel philosophe beaucoup, donnant son sens au titre du livre.
J'avoue que je préfère nettement les chapitres à l'occasion desquels nous suivons Jake. Certains passages du monologue intérieur philosophique m'ont laissés sur ma faim. Je vous donne juste un exemple :
« Mais s'il existe une valeur qui ait de la valeur, il faut qu'elle soit hors de tout événement. La vérité, c'est que toutes les propositions sont d'égale valeur. C'est pourquoi il ne peut pas y avoir de propositions éthiques. L'éthique est transcendantale et ne se peut exprimer. En bref, l'éthique est impossible. »
Mon choix de passage n'est peut-être pas bon… encore eut-il fallu que je sois capable d'en juger. Ces passages sont importants, parce qu'ils permettent de comprendre, au moins en partie, la réflexion du meurtrier. Et, en effet, l'une des questions soulevées par ce livre est de savoir ce qu'il convient de faire d'hommes – ici, ce ne sont que des hommes, ce sont eux qui, privés d'une petite zone du cerveau, sont censés être prédisposés à la violence – dont on sait qu'ils peuvent passer à l'acte. Cela n'est pas sans rappeler certains débats autour des « fichés S », à l'occasion desquels certains semblaient prêts à enfermer des personnes simplement sur la base d'une possibilité de passage à l'acte…
Le personnage de Jake également est intéressant, dans sa détestation des hommes. Là aussi, ce n'est pas sans rappeler certains discours que l'on peut entendre de-ci, de-là sur les réseaux sociaux…
Le seul véritable regret que j'ai, à l'issue de cette lecture, c'est que l'on aurait pu imaginer un twist final absolument renversant. Je ne veux rien dire, pour ne pas spoiler, mais il me semble que, là,
Philip Kerr aurait pu pousser le curseur…
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