Des hommes

Il n'est pas nécessaire de courir le monde, de traverser océan et jungle pour sentir le charme des nuées, la sève des arbres, le langage des rivières et des nuits.

Aimer un livre à la fois en enfant et en homme, n'est-ce pas lui reconnaître la plus haute vertu ?

Il y toujours avantage à connaître et à tâcher de comprendre la jeunesse. Le mot seul a en lui une vertu magique de santé et de rénovation.

En beauté aussi, il y a une hiérarchie.
Et le signe des basses époques est de ne pas la reconnaître.

Au début du mois de janvier 1930, un étrange passager se trouvait à bord du "Compiègne", courrier d'extrême-Orient. Il se levait avec le jour, enfilait un vieux pantalon, quittait sa cabine de première classe et commençait à errer comme une âme en peine à travers le paquebot, animé seulement par les matelots et les officiers de service. Il descendait à la chaufferie, parlait leur langue avec les arabes et les somalis employés à ce métier infernal, contemplait la marche des machines, remontait sur le pont, consultait la carte.
Ayant épuisé tous ces genres de distractions, il venait me réveiller. Je le recevais fort mal, encore engourdi de sommeil. Il attendait patiemment que je retrouve mes esprits et aussitôt, connaissant mon point faible, commençait à me raconter une histoire merveilleuse. Je cédais vite à l'enchantement.
Ce fut ainsi que chaque jour, durant la traversée, je pris contact avec Henri de Monfreid....
(extrait du chapitre consacré à Henri de Monfreid dans le volume paru à la "Nrf" chez "Gallimard" en 1972)