L'amour est fait de hasard et de chance. À une bretelle de la vie, il est là, offrande sur le chemin. S'il est sincère, il se bonifie avec le temps. Et s'il ne dure pas, c'est que l'on s'est trompé de mode d'emploi.
Je lui demandais comment elle faisait pour supporter ces déboires qui s'accrochaient à elle comme des revenants. Elle me répondait d'une voix limpide : "On fait avec. Le temps s'arrange pour rendre les choses vivables. Alors, on oublie et on se persuade que le pire est derrière soi. Bien sûr, le gouffre nous rattrape au détour d'une solitude et on tombe dedans. Curieusement, dans la chute, on éprouve une sorte de paix intérieure. On se dit c'est ainsi, et c'est tout. On pense aux gens qui souffrent et on compare nos douleurs. On supporte mieux la nôtre après. Il faut bien se mentir. On se promet de se ressaisir, de ne pas retomber dans le gouffre. Et si, pour une fois, on parvient à se retenir au bord du précipice, on trouve la force de s'en détourner. On regarde ailleurs, autre chose que soi. Et la vie reprend ses droits, avec ses hauts et ses bas. On a beau acheter ou se vendre, on est que des locataires sur terre. On ne détient pas grand-chose finalement. Et puisque rien ne dure, pourquoi s'en faire ? Quand on atteint cette logique, aussi bête soit-elle, tout devient tolérable. Et alors, on se laisse aller, et ça marche."
Ma mère me disait que les dieux ne sont grands que parce que nous les regardons d'en bas.
Il y a toujours une vie après l'échec, la mort seule est définitive.
Je tente de penser à quelque chose. Ma tête est un désert. Je n'ai que vingt-sept ans, et en ce mois de juin 1937, tandis que la canicule m'initie à l'enfer qui m'attend, je me sens aussi vieux qu'une ruine. J'aimerais avoir peur, trembler comme une feuille, redouter les minutes qui s'égouttent dans l'abîme, bref me prouver que je ne suis pas encore bon pour le fossoyeur – pas une zébrure d'émotion ! Mon corps est de bois, mon souffle est une diversion. De toutes mes forces, je presse ma mémoire dans l'espoir d'en faire jaillir une silhouette, un visage ou une voix qui me tiendrait compagnie. Peine perdue. Mon passé s'est rétracté, mon parcours me largue, mon histoire me renie.
Regarde un peu la statue du général, là-bas. Que raconte-t-elle ? Elle dit simplement qu'on a beau ruer dans les brancards et brûler des villes et des campagnes, massacrer des gens en criant victoire et faire des larmes des veuves de l'eau pour son moulin, les héros finissent sur des socles en marbre pour que les pigeons viennent leur chier dessus...
(Citation choisie parce qu'en plus, elle me semble résumer tout le livre)
Le chance, c'est comme la jeunesse. Chacun y a sa part. Certains la saisissent au vol, d'autres la laissent filer entre leurs doigts, et d'autres l'attendent encore alors qu'elle est loin derriere eux. Qu'ai-je fit de la mienne?
A Médine Jdida, la pauvreté était toujours là, sauf qu'elle avait de la pudeur.
Il y a deux genres d'espoir. L'espoir qui relève de l'ambition, et l'espoir qui se réclame du miracle Le premier peut toujours courir, le second peut toujours attendre ni l'un ni l'autre ne sont une fin en soi puisque seule la mort en est une.
Et ce fut ce soir-là, profitant d'un instant d'inattention, que je portai la main sur les seins de Nora. Je venais de toucher, pour la première fois de ma vie, le pouls d'une fraction d'éternité. Jamais mes doigts ne connaîtraient sensation plus forte.