Les chats, comme les gitans, n’ont pas de patrie. Notre cas aggravé par une nouvelle loi qui verra le jour, une fois ratifiée, et qui concerne tous les chômeurs, c’est-à-dire les bouches inutiles, ce que nous sommes depuis que les boîtes Whiskas ont remplacé les souris et que les cafards sont tués à coups de Flytox.
Le mal de Garbis Garbissian remonte à sa naissance dans un pays haï de tous ses voisins : l’Arménie. Serré entre la Russie et la Turquie, écrasé par une montagne, le mont Ararat, qui n’a pas bonne réputation depuis que l’arche de Noé y a échoué, ce pays a le malheur de parler une langue comprise de ses seuls habitants.
Ce que vous prenez pour des roses ne sont que de modestes renonculacées.
Mieux vaut ne pas pouvoir croiser les jambes, fumer que d’être poursuivi par un contrôleur du fisc qui vous pourrit la vie ou un huissier qui emporte votre matelas sous votre nez.
Singer nos maîtres ne résout pas leurs problèmes. Mieux vaut rester nous-mêmes et éviter de perturber notre arbre généalogique, capable de se venger et de nous priver de ce qui fait notre singularité.
Mieux vaut être expulsé que de moisir en prison entre les putes et les voleurs.
Économe dans le quotidien, elle devient gaspilleuse, dépense sans compter dès qu’il s’agit d’écriture. Les mots, sa revanche contre une vie austère où rien ne doit être dilapidé : l’eau du robinet utilisée à bon escient, le pain rassis transformé en pain perdu, les fruits fatigués en confiture ; le respect de l’eau, du pain, du feu remontant à son enfance dans un village perché sur une montagne au nord de tous les nords.
L’étranger qui se sent persécuté se réfugie dans sa langue maternelle.
Qu’elle soit veuve, divorcée ou célibataire ne change en rien nos sentiments : nous l’aimons pour ce qu’elle est, pour son odeur de tristesse et d’oignon pelé, de tendresse et de lait à la cannelle et pour sa bouche tordue à force de dormir du même côté, visage tourné vers la porte qui s’ouvrira pour laisser entrer le mort aimé.
Après trente-cinq années de vie sous le ciel français elle continue à penser que le mot bahr contient plus d’eau que le mot mer, que chajarat est plus feuillue qu’arbre, que « soleil » est du féminin et « lune » du masculin ?