A l'étroit entre deux couches de terre
je pouvais dessiner le monde sans bouger la main
gestes pris aux êtres désaffectés
esquissais une crique au vacarme
du ressac contre le roc
un bosquet au bruit du vent tirant les branches
par les cheveux
les rues de la ville aux sabots qui piétinent le tendre et le sec
Morte! je reconnaissais les arbres à leur odeur
celle âpre du jujubier
amère du cyprès
acide du sureau des cimetières
III
Morte pourtant désirée par l'homme
qui continue à creuser
le rire de l'archéologue ruisselle sur sa poitrine
à la vue de mon pied
il rit jusqu'au ciel et la seule étoile
visible à cette heure
Il me soulève comme une outre d'eau fraîche
me parcourt de la tête aux pieds
62 centimètres de hauteur et 5 centimètres de largeur
du marbre ciselé dans le marbre
m'humecte avec sa salive pour retrouver
ma couleur d'origine
me sèche avec un pan de sa chemise
s'extasie sur la pureté de ma pierre
et sa résistance à l'ensevelissement
fasciné par mon ventre étroit
par mes membres indemnes
un peu d'argile et de savoir-faire combleront
les deux brèches de l'aine et du pied droit
L'archéologue…
L'archéologue qui fouille l'île ne connaît que moi
posée sur sa poitrine épaisse
il me donne la gestuelle de l'arbre
pour dénouer mes bras
le cri de l'eau dans une jarre pour étancher
ma soif millénaire
l'odeur du pain pour me donner une bouche
le bruit des bassines pour écarter
mes cuisses de fille effarouchée
Visage absent du visage …
Visage absent du visage
nez repérant les morts serrés dans leurs bandelettes
ma silhouette silencieuse régnait
sur toute une nécropole
Le sculpteur de Syros le voulait
il m'avait élaguée tel un arbre malade
taillé le superflu à ma survie
effacé l'excédent à ma temporalité
gardé le cri invisible
le regard gelé tourné vers l'intérieur
Il m'avait enfermée dans un espace défini
de tout temps
vêtue de nu
je portais mon corps à l'envers dans l'attente
du cérémonial imprévisible