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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Quand la plume est aussi acérée qu'une épée, aussi imposante qu'un obus, aussi précise qu'une balle tirée à bout portant. Quand des témoignages, réunis et structurés, permettent de faire exploser la vérité, de dégoupiller les rumeurs et de tuer toute forme d'indifférence et d'oubli. Quand un livre permet de réhabiliter des personnes, de leur offrir dignité et honneur. Quand un écrivain parle à la place de personnes bafouées, dont l'écrit ou l'oral n'est pas la culture, trop petites et démunies face à des monstres tels que le gouvernement ou la police, voire la société…

Voilà ce qu'est cette oeuvre « Les mensonges du Sewol » du coréen Tak-hwan Kim, aux superbes éditions l'Asiathèque. L'auteur a en effet pris la plume pour dénoncer, dire la vérité, réhabiliter. Guidé finalement par les mêmes questions que les plongeurs mis à l'honneur ici : est-ce bien et puis-je le faire ? Pour les plongeurs, ce fut une obligation morale d'aller remonter des cadavres afin que les familles puissent faire leur deuil, la réalité de la mort n'étant palpable qu'une fois le corps retrouvé et les funérailles terminées ; et en leur qualité de plongeurs, ils en étaient capables. de même l'auteur estime qu'il est de son devoir d'être solidaire des familles des disparus et des plongeurs, et il a ce talent d'écrivain. D'où ce roman. Roman magistral.

« Je ne veux pas que tout ce qu'ils ont fait, tous les dangers qu'ils ont rencontrés, tous les risques qu'ils ont pris, tous ces moments dramatiques, tombent dans l'oubli ».

« Lisez avec le coeur et indignez-vous avec la tête ! ». Oui, mon coeur déborde et se serre, ma tête s'indigne, après lecture de ce livre engagé et vibrant, véritable hommage, défendant des plongeurs coréens qui, au péril de leur vie, sont allés repêchés les cadavres de personnes après le naufrage du Sewol, ferry sud-coréen assurant la liaison entre Incheon et l'île de Jeju, le 6 avril 2014. Il transportait 476 personnes dont 325 lycéens. Ce naufrage a provoqué la mort de 304 personnes dont 293 retrouvées. Parmi les 304 défunts essentiellement ces lycéens alors en voyage scolaire.

Après cette tragédie, les plongeurs, habituellement taiseux sur leurs missions et tenus par des clauses de confidentialité, ont été maladroits, brutaux, parfois sanguins et volcaniques, bref ils ne maitrisaient pas les codes de la communication. L'auteur se fait ainsi leur porte-parole et donne parole à un des plongeurs, Na. A l'origine ce qui motive Na est de s'opposer à l'inculpation d'un de ses collègues, rendu responsable de la mort d'un des plongeurs. Il écrit donc au juge. Mais c'est aussi l'occasion pour lui d'expliquer le contexte, les interrogations, les incompréhensions, et surtout la recherche, à plus de 60 mètres de profondeur, de cadavres de lycéens…Les passages consacrés à cette recherche sont édifiants, terrifiants, superbement décrits. Comme l'explique Na, repêcher des cadavres signifie se faufiler dans les dédales du bateau en pleine obscurité, éviter les nombreux obstacles dangereux qui gênent la progression, entrer dans les petites cabines, puis, si un corps est trouvé, le prendre en l'étreignant afin de ne faire qu'un avec lui pour se faufiler de nouveau vers les sorties : « Derrière le lit, je distingue des corps. J'enfonce mon bras plus avant et, en tâtonnant, devine la situation. Dans ce réduit, des garçons se tiennent embrassés. Jong-hu et trois autres lycéens ont vécu là leurs derniers instants. En touchant leurs épaules et leurs mains entrelacées, je pleure à chaudes larmes ».
L'auteur mettra ensuite à l'honneur l'indignation, les séquelles parfois irréversibles, tant physiques (ostéonécrose, migraines, maux de dents, tremblements, déchirements musculaires, tendinites) que psychologiques (hallucinations, dépressions, haptophobie…).

A cette narration, s'entremêlent des chapitres dédiés aux « voix du 16 avril », témoignages de protagonistes divers dont l'auteur souhaite conserver trace : parents de rescapés, parents d'enfants décédés, médecins, kiné, psychologue, fiancée de Na avec laquelle il devait se marier : « Dans le face-à-face avec ces interviewés, j'avais l'impression d'être dans une caverne sombre et humide, un nouveau Jonas dans le ventre de la baleine ».

Que dénonce plus précisément ce livre qui a permis, entre autres, de destituer le gouvernement coréen de l'époque ?

- La gestion des premières heures du drame tant sur le bateau où on a imposé aux élèves de ne pas bouger et de rester enfermés dans leurs cabines, qu'au niveau des secours : seuls 8 plongeurs peu expérimentés ont tenté de remonter des survivants les 72 premières heures, délai au-delà duquel il est vain d'espérer de retrouver des survivants du fait de la présence de poches d'air. Or les informations officielles faisaient état de 500 plongeurs. Enorme mensonge alors que les négligences et les retards, la gestion calamiteuse des secours, expliquent ce naufrage et surtout le nombre de victimes. « Les ministres, la police, les journalistes, tout ce beau monde a été défaillant et a manqué à ses devoirs. Au fur et à mesure que le temps passe, je me rends compte que seuls les plongeurs ont été efficaces ».


- le manque de suivi, de soutien et de respect vis-à-vis des plongeurs professionnels qui vont plonger deux à trois fois par jour au péril de leur vie et qui connaissent des conditions de travail dantesques, sans médecin ni psychologues sur la barge pour les épauler, barge sur laquelle directement ils dorment et mangent sans aucun confort. Leurs séquelles physiques et psychologiques vont s'avérer être catastrophiques alors que le gouvernement leur accorde juste quelques mois de soins remboursés après les avoir remerciés de façon irrespectueuse et brutale : « C'était l'hiver. On a eu l'impression d'être balancés, sans combinaison, dans une eau glacée ». de parfaits citrons les plongeurs : on les a pressés et à présent on jette ce qu'il en reste, cette sorte d'écorce rabougrie.

- Les rumeurs au sein de la population qui font dire que les plongeurs ont plongé uniquement pour l'argent gagné (5000wons par cadavre), le business des cadavres s'avérant ainsi juteux, les plongeurs laissant parfois exprès des corps afin de faire monter leurs primes au fur et à mesure des semaines écoulées. le cadavre devenant en effet une denrée rare, donc devant plus cher… rumeurs abjectes qui finissent de détruire les plongeurs. La société coréenne ne sait rien des plongeurs, ce livre permet de les éclairer.

Au-delà de la dénonciation, ce livre est très émouvant. La confrontation entre les plongeurs et les parents de victimes notamment est poignante. Les moments de recueillement près du lieu du naufrage pour les onze familles dont les enfants sont restés dans les profondeurs abyssales, sont déchirants. Les séquelles pour les plongeurs auxquelles nous assistons sont révoltantes ! Mais surtout, surtout, le respect qu'ont les plongeurs pour les défunts repêchés est magistralement traduit, tous les morts étant considérés dans leurs individualités et leurs caractéristiques. C'est comme s'ils prenaient vie sous la plume de Tak-hwan Kim.

L'auteur a magistralement réussi à ce que l'on n'oublie jamais et les défunts et les plongeurs. Notamment ce plongeur, Na, qui s'est suicidé peu de temps après.

le printemps arrive, la fleur s'ouvre.
La fleur s'ouvre, je suis triste.
Bien cruel est ce printemps.


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On sort abasourdi de ce roman au service de la vérité ! Kim Takhwan, pour qui « La vérité ne se révèle que dans les profondeurs », nous plonge corps et âme dans les limbes du naufrage du Sewbol, que la manipulation médiatique a noyé sous les mensonges. Vous avez peut-être entendu parler de ce ferry sud-coréen, chaviré le 16 avril 2014 avec 476 personnes dont 325 lycéens et professeurs, provoquant 304 morts, dont 5 corps non-retrouvés. Une brusque manoeuvre l'aurait retourné à cause d'une importante surcharge. Oui, le profit l'a encore emporté sur des vies humaines. Mais un naufrage près des côtes avec un sauvetage bien organisé n'aurait pas dû faire autant de victimes. Les informations répétaient que le gouvernement déployait plus de 500 plongeurs pour porter secours aux passagers. le narrateur, Na Kyong-su, était l'un d'eux. Pourtant lorsqu'il arrive sur les lieux 5 jours après le naufrage, du 20 avril au 10 juillet, ce n'est plus pour sauver des vies mais pour ramener les corps aux familles. Et ce qu'il découvre sur place le crucifie : Une équipe de 8 plongeurs seulement qu'il trouve à l'épuisement. Pourquoi l'Etat n'a pas dépêché l'armée des 550 promis pour sauver ces vies ? Peut-être parce que sa Présidente fut introuvable durant les 7 premières heures… Dans ces conditions, l'inculpation d'un collègue pour homicide par négligence après la mort d'un plongeur est la goutte d'eau qui fait déborder l'océan : Na Kyong-su écrit au juge pour le disculper, et incriminer l'organisation par les autorités. Son récit est le témoignage édifiant de ce que les plongeurs ont vu, entendu, vécu et subi. Pour l'écrire, l'auteur s'est rapproché de l'un des véritables plongeurs appelé sur ce drame. C'est leur histoire qu'il raconte. Une histoire d'épave et de gentils fantômes, qui les hantent tellement que le vrai plongeur s'est suicidé après avoir raconté son histoire.


Dans sa lettre au Juge, plaidoyer de presque 300 pages qui convoque de nombreux témoignages d'acteurs et de victimes du drame, Na Kyong-su rapporte ce que les informations officielles ont camouflés. A qui profite le crime ? Aux investisseurs et aux dirigeants, qui se glorifient d'avoir fait tout ce qu'ils ont pu alors qu'ils ont tout fait pour que personne n'en réchappe. Une vérité effroyable qui brise exceptionnellement l'omerta de cette armée de plongeurs professionnels exhortés au silence, écoeurés du système mais qui, pourtant, ont donné toutes leurs forces dans des conditions épouvantables pour que les âmes errantes des noyés puissent remonter à la surface, dire au revoir aux vivants. « Que ceux qui ne se sentent pas capables d'étreindre des cadavres et de les ramener jusqu'ici lèvent la main », les accueille-t-on. Des jours durant dans l'eau glaciale de l'océan, ils oscillent entre une surface truffée de mensonges et des profondeurs mortifères, naviguent entre les algues et les parois instables du navire, luttent à 40 mètres de profondeur dans des courants incroyables, cherchant les corps, leur parlant pour que leurs âmes les suive, se faufilent entre les bagages mouvants et les couvertures s'enroulant autour d'eux comme des méduses ; ils remontent avant de mourir de fatigue, respirent puis retournent, encore et toujours, danser sous les vagues, rejoindre les profondeurs marines noires comme les mines, où règne le silence des morts que l'on aurait pu, que l'on aurait dû éviter.


« Si vous avez réussi à sortir un corps, ne le laissez surtout pas échapper car vous ne le reverrez jamais ». Ce roman est un hommage au sacrifice de ces héros. « Nos idées noires, nos chagrins, c'est à nous, les plongeurs, de les gérer, en solitaires. Avec qui d'autre pourrions-nous partager le côté dramatique de cette étrange étreinte ? » C'est aussi une condamnation de la manière dont a été traité ce drame par les autorités, tant au niveau du sauvetage que de la manipulation des informations et du public. C'est enfin la dénonciation du traitement infligé aux plongeurs, au mépris de leur santé physique et mentale à long terme. « Les cheveux du corps ondulent, me masquent la vue et réduisent à zéro une visibilité déjà très mauvaise. J'ai l'impression d'être étouffé, étranglé. Puis, un visage apparaît à hauteur de mes yeux et s'immobilise. Nous voilà face à face. Les yeux clos, la noyée semble dormir paisiblement. J'ai hâte de la ramener à sa famille qui l'attend. » Une incroyable plongée au coeur d'un désastre humain. Comme pour le Bateau-usine, je me dis que l'inhumanité n'a aucune limite lorsqu'il s'agit de pouvoir et d'argent. « D'un côté des plongeurs dévoués corps et âmes à la recherche des disparus, de l'autre un état qui se réfugie derrière des phrases »… le narrateur répète que le mot obscurité est insuffisant pour décrire la noirceur des profondeurs. Que dire de la noirceur des âmes humaines à l'origine de ce drame…?
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Le 16 avril 2014, le Sewol, ferry reliant Incheon à l'île de Jeju, sombre quelques heures après avoir quitté le port. A son bord, 476 passagers, dont 325 sont des lycéens de la ville de Ansan. Dès l'annonce du naufrage, des pêcheurs, des bateaux commerciaux, la marine nationale et les garde-côtes se rendent sur place et sauvent 172 passagers. Car sur le bateau, ordre a été donné aux lycéens de rester dans leur cabine. Les canots de sauvetage n'ont pas été mis à l'eau. L'équipage n'a pas su gérer la crise. Pour les parents, l'espoir demeure de retrouver leurs enfants vivants, protégés par le système de cloisonnement du bateau et les possibles poches d'air. Mais aucune décision n'est prise pour des recherches sous-marines. le gouvernement annonce la présence de cinq cents plongeurs sur les lieux mais il n'en est rien. Quand, trois jours après le drame, une équipe réduite de plongeurs privés commencent les recherches dans des conditions périlleuses, ils savent tous qu'ils sont là pour remonter les corps sans vie des lycéens d'Ansan.
La catastrophe provoque une onde de choc en Corée du sud. Comment un tel drame a-t-il pu se produire ? Qui est responsable ? L'armateur qui n'a pas respecté les capacités de chargement du ferry ? le capitaine qui a commis une erreur de navigation ?
Mais des questions se posent aussi sur le sauvetage. Pourquoi la Corée a-t-elle refusé l'aide internationale ? Pourquoi les secours officiels n'ont-ils pas été mobilisés immédiatement ? Pourquoi l'équipage a-t-il demandé aux passagers de ne pas quitter leurs cabines ?
Autant d'interrogations sans réponses ou plutôt une multitude de réponses qui ont mis à jour un système de corruption, d'impréparation, d'incompétence…

Comme tous ses concitoyens, l'écrivain Tak-Hwan Kim a été profondément touché par ce drame. Et il a lui aussi cherché des réponses, en interrogeant les parents des victimes, les avocats, les journalistes, mais aussi les citoyens lambda parfois exaspérés par les manifestations de colère des parents endeuillés. Et, surtout, il s'est intéressé au sort des plongeurs envoyés sur les lieux pour remonter les cadavres.
Son ‘'roman vrai'' prend la forme d'une longue lettre adressée à un juge d'instruction par un plongeur pour disculper un collègue et ami accusé d'homicide involontaire, suite au décès accidentel d'un plongeur surmené et surexploité. Ce plongeur, renommé Na Kyong-su, livre dans un touchant plaidoyer sa version d'une opération qui n'avait plus rien d'un sauvetage. Contrairement aux déclarations de l'Etat qui estimaient leur nombre à plus de cinq-cents, ils étaient huit. Huit volontaires qui ont plongé jour et nuit, sans respect des temps de repos, dans des conditions périlleuses aggravées par la profondeur du site, les vifs courants marins, l'obscurité et les pièges d'un bateau sens dessus dessous. Accusés de vénalité, ils ont non seulement mis leur vie en danger, mais aussi leur équilibre psychologique en côtoyant ces cadavres d'enfants, cette jeunesse sacrifiée. Et s'ils ont eu le sentiment du devoir accompli et la reconnaissance de parents soulagés de pouvoir enterrer leurs enfants, ils ont été abandonnés par l'Etat. Plonger en eau profonde n'est pas sans conséquence pour la santé et aucun ne s'en est sorti sans d'importantes séquelles. Les soins, longs et coûteux, n'ont été pris en charge que durant cinq mois. Démunis, amoindris physiquement, détruits psychologiquement, ils ont été sacrifiés sur l'autel de l'économie, de la loi et de l'envie des gouvernants d'oublier le naufrage et ses conséquences.
Avec Les mensonges du Sewol, Tak-Hwan Kim signe un roman coup de poing, émouvant et révoltant. Au-delà du drame, il raconte les failles d'un pouvoir qui n'a pas su prendre soin de ses enfants. La catastrophe a mis en lumière des défaillances, des collusions entre politique et industrie et a contribué à déstabiliser une présidence déjà mise à mal par des accusations de corruption et d'autoritarisme. C'est dans les moments de crise qu'on juge un gouvernement et celui de Geun-hye Park n'a pas été à la hauteur, ni sur le moment, ni pour gérer l'après.
Un livre nécessaire, pour les Coréens, mais aussi pour le monde car nul n'est à l'abri d'un tel évènement, imprévu mais évitable.

Un grand merci aux éditions de l'Asiathèque et à Pascaline Siméon pour cette lecture éprouvante et essentielle.
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Comment noter un livre qui pour moi est allé bien au-delà du coup de coeur ? Cela me paraît presque futile, au regard du sujet qu'il évoque, des interrogations qu'il soulève, et de la force du témoignage, d'une incroyable véracité, d'une humanité désolante, confrontée à la plus ingrate indifférence envers les vies humaines sacrifiées lors de ce naufrage du Sewol dans le chenal du Maenggol, le 16 avril 2014, il y a maintenant sept ans. Les faits sont d'une cruauté glaçante : le ferry surchargé transportait 476 personnes, dont seules 172 ont été sauvées. Une partie de l'équipage s'est enfuie, après que l'on a donné aux passagers la consigne de ne pas bouger de leurs cabines et des couloirs où ils devaient attendre les secours. Secours qui ne sont jamais arrivés, car le bateau n'a pas été approché avant le 19 avril - lorsque les équipes de plongeurs sont intervenues, c'était pour retrouver des morts (le délai de survie est fixé légalement à 72 heures). Parmi ces morts, de nombreux lycéens qui effectuaient un voyage scolaire sur l'île de Jeju, qui n'ont commis comme seule erreur que d'obéir à la consigne de rester dans les étages inférieurs, et se sont noyés lorsque le navire s'est incliné à 90 degrés.

Pour être claire, je défie quiconque de commencer ce livre et d'arriver à s'arrêter avant la fin. C'est un documentaire poignant, dans lequel l'auteur a pris le parti de mêler les souvenirs d'un plongeur en partie fictif, Na Kyong-su (en coréen, le nom de famille est placé devant), et les "voix du 16 avril", différents témoignages que l'auteur avait réunis pour un podcast. Il s'inspire en grande partie de l'expérience véridique du plongeur Kim Kwan-hong, mais le portrait qu'il dresse et romance légèrement est si saisissant que j'en ai fini par confondre le plongeur réel et le plongeur fictif.

L'auteur a fait un choix très pertinent qui confère une densité rare aux événements : nous suivons l'intervention des plongeurs privés, réquisitionnés pour aller chercher les corps dans le navire, opération périlleuse, car le passage est étroit, encombré par les objets renversés lors du naufrage - pour sortir un corps, il faut le serrer dans ses bras, dans une étreinte éperdue, ne surtout pas le lâcher, en une heure environ, car les courants s'inversent avec les marées, et ceux du chenal sont particulièrement puissants. Ajoutez à cela que la visibilité est quasi-nulle, et surtout que les plongeurs officient deux à trois fois par jour, sans journées de repos (ils sont en nombre insuffisant), sans médecin ni kiné, sans caisson de récupération, et dans un confort tout relatif. Comme si ces dangers et la douleur atroce de remonter des enfants morts, ou de ne pas arriver à les remonter ni à les trouver, ne suffisaient pas, un plongeur nouvellement arrivé dans l'équipe meurt dans un accident, et le chef bien-aimé des plongeurs, Lyu Chang-dae, est accusé de négligence et inculpé pour homicide involontaire.

Face à cette injustice, Kyong-su prend la plume pour écrire une longue déposition adressée au juge, relate les faits entre son arrivée sur la barge le 21 avril et le message sans remerciement qui les congédie le 9 juillet, alors qu'il reste des disparus à retrouver. Les faits vécus sont sans commune mesure avec les mensonges officiels et la désinformation ; les plongeurs, qui n'en demandent pas tant, sont soit portés aux nues soit vilipendés et accusés de s'enrichir aux frais des contribuables. Pourtant, la réalité est que de l'équipe, tous subiront de gravissimes pathologies, alors même que l'Etat décide au bout d'un an de ne plus rembourser leurs soins. Loin de se plaindre, Kyong-su cherche à se faire pardonner des familles, il noue des liens, et se bat pour faire connaître la vérité de l'affaire. le récit nous apprend aussi l'après, pour les familles, les policiers, les rescapés...

En plus de nous gratifier de scènes d'une beauté terrifiante, où l'amour des profondeurs côtoie la mort, où le travail et la passion d'une vie aboutissent à des visions de cauchemars, de couloirs et cabines sous les eaux, d'enfants noyés, d'objets flottants, le tout dans des ténèbres silencieuses, presque un autre monde déjà... Mais nous apprenons aussi de l'éthique de Kyong-su/Kwan-hong, qui nous donne à voir le courage d'un homme simple, qui dans toute situation se pose deux questions : est-ce que je dois le faire ? est-ce que je peux le faire ? - puis prend sa décision et s'y tient, quel que soit le risque encouru. Que devons-nous sacrifier, et jusqu'où, pour vivre en accord avec la vérité et la justice ? L'écriture enfin est toute de simplicité et de naturel, ramassée telle un fauve prêt à bondir. Je ne peux qu'engager les lecteurs à découvrir ce livre qui nous maintient en apnée, et dont il est difficile de revenir.
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Je n'aime pas les termes « récit choc » ou « lecture coup de poing » que je trouve trop accrocheurs, mais pourtant cela définit bien ce livre de Kim Takhwan.

Dans ce récit bouleversant et glaçant, l'auteur donne la parole à un plongeur privé et à diverses personnes en lien avec le naufrage du Sewol, que ce soit journalistes, familles des victimes, avocats etc.

L'auteur s'est attaché à mettre en lumière les interrogations entourant le drame du naufrage du Sewol ayant eu lieu le 16 avril 2014 en Corée, tout en soulignant les conditions extrêmes des plongeurs et les injustices subies.

La narration a un rythme très intéressant puisqu'elle alterne entre les passages d'une lettre à un juge, écrite par un plongeur professionnel et des interviews  regroupées à chaque fois dans « Les voix du 16 avril ». Dans sa lettre, le plongeur confie ce qu'il a vécu et les conditions de travail difficiles, tant au niveau physique que psychologique : trop de plongées en une journée, dangerosité des bas-fonds (très peu de visibilité, de nombreux objets les bloquant, courants violents), et bien sûr l'horreur de devoir remonter les corps.

Je suis outrée de voir la situation précaire de ces plongeurs et la façon dont ils ont été remerciés. Ces personnes ont eu besoin de beaucoup de soins, étant atteint par des maladies terribles suite à leur travail, mais la sécurité sociale ne les a plus aidé au bout de cinq mois. Comment réussir à payer des soins aussi coûteux ? C'est terrible et je pense que très peu de gens connaissent les conséquences des plongées aussi profondes et aussi longues. Aucun soutien donc, et en plus aucune reconnaissance. La population pense à tort qu'ils ont été très bien rémunérés pour « remonter des cadavres », écoutant les fausses rumeurs, les journalistes et les on-dit. Ils ont un peu le mauvais rôle dans l'histoire alors qu'ils ont été totalement dévoués à leur tâche au péril de leur vie.

Je suis également outrée par la façon dont le gouvernement a pris les choses en main et l'incompétence du personnel de bord et de l'ensemble des institutions. Pourquoi dire à ces jeunes lycéens de rester dans leurs cabines ? Pourquoi faire croire aux parents que tout le monde a été sauvé alors qu'aucune aide n'avait été mise en place ? Pourquoi dire qu'il y avait 555 plongeurs alors qu'ils n'étaient en réalité que huit ?

J'ai été profondément bouleversée par la douleur des familles, leur incompréhension et leur quête de vérité, par la vulnérabilité des plongeurs et la façon dont ils ont été traités, mais aussi choquée par la réaction de certains citoyens idiots qui ne se mettent absolument pas à la place des familles des autres et ne pensent qu'à leurs impôts qui vont indemniser les victimes (ce qui plus est, est totalement faux !).

Plusieurs scènes m'ont émue jusqu'aux larmes, mais je garderai surtout en mémoire celle du policier dont une manifestante, mère d'une jeune victime, a essuyé les larmes. Il nous dit qu'il est « discipliné » et obéit aux ordres, même s'il compatit à la douleur des familles, et que finalement « rien ne [les] sépare ».
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J'ai découvert l'histoire du Sewol lorsque j'ai commencé à écouter le groupe coréen BTS via l'une des chansons les plus populaires et émouvantes du groupe : Spring Day. En effet, le clip contient de nombreuses références indirectes à la catastrophe. Comme je suis curieuse de nature, j'ai fait de nombreuses recherches et j'ai regardé nombre de vidéos sur la catastrophe. C'est une tragédie qui ne laisse pas indifférent tant elle est démontre à quel point une société peut-être corrompue.

Je fréquente depuis quelques mois une librairie asiatique où je me procure mes livres d'apprentissage du coréen (je vous ferais d'ailleurs un article sur les meilleurs livres pour apprendre la langue bientôt !). Lors d'une de mes sorties, je suis tombée sur ce livre : Les Mensonges du Sewol. Autant vous dire que je suis repartie avec ! (Lisez la suite sur mon blog !)
Lien : https://paroledelibraire.com..
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« Figure-toi. 304. Tous ces jeunes. Morts ! »

Après avoir lu ce texte, écrire de manière concise, claire et ordonnée m'est finalement impossible. Ce n'est pas faute d'avoir essayé, mais je m'éparpille, je parle trop et dans tous les sens. Je n'ai guère le talent d'oratrice de Na Kyong-su, le plongeur qui raconte dans cette lettre écrite au Juge pour prendre la défense de Lee Chang-dae, accusé à tort d'homicide involontaire après la mort d'un plongeur qui évoluait sous sa responsabilité…et encore, vous verrez que déjà, la vérité est déformée.

Le titre original de cet ouvrage est "Ceci est un mensonge", et au cours de cette lecture, ce n'est pas un mais tout un tas de mensonges qui font surface. Une série de tromperies, d'hypocrisies, de manipulations d'information écoeurante à vous retourner l'estomac. Bien entendu, il ne s'agit pas que de l'estomac qui se retourne mais le coeur surtout. Les larmes versées pendant ma lecture furent nombreuses mais bien dérisoires quand on pense aux familles des victimes et aux plongeurs qui n'ont pu sauver des vies mais seulement repêché des corps avec pour seules paroles en les remontant « Merci d'être venu vers moi. Pardon d'être arrivé trop tard ». Ces plongeurs qui ont risqué leur vie en évoluant dans des conditions terribles, sans contrat, sans médecins ont vu leurs corps et leur santé mentale se brisés et personnes pour les rattraper. Les autorités, le gouvernement en qui ils avaient confiance, même quelques citoyens manipulés par les médias, tous les ont laissé tomber.

Kim Takhwan, l'auteur à l'origine de ce roman l'a écrit à la suite de sa rencontre avec le plongeur Kim Kwan-hong, depuis décédé, le suicide est privilégié. Entre chaque chapitre viennent s'ajouter des interviews réalisées avec des parents, des rescapées, un chauffeur de taxi, l'ex-fiancée du plongeur. Une multitude de voix qui nécessitaient d'être entendues pour le bien comme pour le pire. A travers la plume de l'auteur et le superbe travail de traduction, il vous sera impossible de rester de marbre. Au fur et à mesure que les pages défilent, les horreurs s'accumulent, certains témoignages sont ignobles, d'autres vous laissent la gorge nouée. Une discussion avec un avocat bénévole vous indignera au plus au point…les plongeurs ont véritablement été bafoués, utilisés. Combien se sont retrouvés au chômage à vie car handicapés après des mois de plongée sans repos, sans sécurité sociale pour prendre en charge les frais médicaux. L'empathie a été oubliée, personne ne comprend l'ampleur des blessures physiques mais également morales, les dépressions, les hallucinations, les cauchemars et les maladies mentales développées par les plongeurs. Tout le monde semble certain qu'ils ont fait cela pour l'argent, qu'ils ne sont que de simple profiteurs...

Les mensonges du Sewol ne sera pas un bon de moment de lecture, vous l'aurez compris. Mais un moment néanmoins nécessaire. Il ne faut PAS oublier ce qu'il s'est passé. Il ne faut pas oublier à quel point nous pouvons tous être manipulés et utilisés. A quel point l'humain est oublié au profit de l'argent dans nos sociétés. Plus que jamais, et j'emprunte ici les mots de l'auteur il est nécessaire de « lire avec le coeur et de s'indigner avec la tête ! » .
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