La corde raide

Notre existence se déroule sur deux plans qu’on pourrait appeler la vie tragique et la vie triviale… Un des malheurs de la condition humaine est que nous ne pouvons vivre en permanence ni sur un plan ni sur l’autre, mais que nous oscillons entre les deux . Quand nous sommes sur le plan trivial, les réalités du plan tragique paraissent absurdes. Quand nous vivons sur le plan tragique, les joies et les souffrances du plan trivial nous semblent superficielles, frivoles, sans importance… Il arrive que dans des circonstances exceptionnelles, dans des moments de danger ou d’exaltation, on se trouve pour ainsi dire à la ligne d’intersection des deux plans ; situation curieuse qui oblige à marcher sur la corde raide du système nerveux. Il est un type d’homme constamment obligé à marcher sur cette corde raide ; c’est l artiste et particulièrement l’écrivain.

La distinction entre le vrai et le faux s’applique aux idées, non aux sentiments. Un sentiment peut être superficiel, il ne sera jamais menteur.

[ ... ] Il semble que la majorité des
gens ne dépassent jamais la phase primitive émotive. Leurs fidélités
politiques demeurent à l'état de fixations infantiles ; la façon dont ils
votent aux élections est à peu près aussi irrationnelle que celle dont un
névrosé choisit une compagne.

p. 118

[ ... ] La classe paysanne a été la pierre d'achoppement de toutes
les révolutions socialistes ; elle constitue le problème non résolu de
la théorie marxiste, car le problème paysan est, avant tout, d'ordre
psychologique, et le facteur psychologique ne figure pas dans les
schématisations de Marx. [ ... ]

p. 82

il y a une différence réelle entre l’état d’esprit des gens qui entrèrent au parti dans les années 20, alors qu’il y avait encore de l’espoir, et ceux qui y entrèrent après la liquidation de la vieille garde et la déification de Joseph Djougachvili (Staline)

[Le] petit-bourgeois français (…) se défendait dans son travail mal rémunéré ; il se défendait contre l’État, en trichant sur l’impôt, et contre ses semblables par une attitude soupçonneuse, une espèce de sourde aigreur. (…) Il n’allait jamais à l’étranger, n’avait point de curiosité des autres pays et des autres vies ; (…) il considérait avec mépris tout idée de changement, (…) il était suffisant et content de lui, et malgré tout son étroitesse d’esprit, vivait dans une harmonie profonde avec lui-même et, à sa manière grondeuse et dénigrante, savait mieux jouir de sa nourriture, de son vin, de sa pêche et de son sexe, que les gens de toute autre communauté humaine que j’eusse jamais vus.»

p. 243-244

Ainsi que la plupart de ceux qui souffrent d’indignation chronique comme d’autres d’indigestion chronique, je sens, au cours d’une crise, l’influx d’adrénaline pénétrer mon sang, l’impatience des mes muscles gonflés de glucose, avides d’action violente.

L’adolescence est une espèce de mal de mer émotif.

les ignominies de l’administration coloniale en Palestine me changèrent de sioniste romantique en sioniste actif. L’événement qui éleva mon indignation à un niveau qu’elle n’avait jamais atteint fut la politique américaine de destruction de stocks alimentaires en vue de maintenir les prix agricoles pendant les années de crise, à une époque où des millions de chômeurs étaient victimes de la misère et la faim

L'adolescence est une espèce de mal de mer émotif. Les deux sont comiques, mais seulement une fois passés.