C'est tout d'abord l'écriture qui est intéressante.
Ahmadou Kourouma écrivait en français, un français rythmé, ou plutôt saccadé. Cela donne un rythme étrange, singulier, mais prenant. Les expressions, les mots nous surprennent parfois parce que nous les employons moins de ce côté de la Méditerranée.
Certains chapitres ont également un traitement intéressant entre action et souvenir. le personnage ressasse, et vit, suit le fil de ses pensées tout au long de sa journée. C'est le cas pour un des premiers chapitres, centré sur Salimiata, la femme de Fama, le personnage principal. Elle est en pleine insomnie, puis elle se lève, prie, cuisine, va vendre ses produits au marché. Et ce quotidien empli de frustration est entrecoupé de ses traumatismes. Elle se souvient de ce qu'elle a subi, enfant, de la violence des hommes, de celles des femmes…
C'est un livre auquel il faut s'habituer, déjà par les termes et le rythme, mais aussi car il n'y a pas de mise en contexte : il faut s'en saisir. Saisir ce que sont les vieilles légendes, saisir l'Histoire d'un pays hanté par le souvenir de la colonisation, plutôt récente. Un pays délivré, un pays indépendant, mais un pays déraciné.
Des systèmes occidentaux intégrés par le pays se mêlent à la religion, elle même teintée de païen, c'est un melting-pot dans lequel il faut se couler, dans lequel certains personnages se perdent.
Par les chapitres dédiés à Salimata, on découvre l'horreur de la condition de la femme en
Côte d'Ivoire. Elle est belle, elle est une épouse exemplaire, c'est une bonne travailleuse. Et pourtant, son bon coeur n'attire que les embûches, les thématiques du viol et de l'excisions sont très présentes. Toute l'horreur est montrée dans cette urgence du style de l'auteur qui sied bien à la gravité des propos.