TRÉSORS
Un homme peut avoir des palais sur la mer
Où rien n’assombrirait un océan d’orgueil ;
Il peut s’être bâti, en sa richesse immense,
Un refuge, en prenant la montagne pour femme.
Un temps vient que lui-même est pauvre et qu’il implore
D’avoir ce plus que l’or qui lui vaudrait la vie :
Heure de solitude : une porte émouvante,
Une chambre accueillante agiront en épouse
Et calmeront la peur qu’il a que l’Ennemi
Lui vole aussi son souffle afin de s’en repaître :
Alors, et seulement alors, un trou quelconque,
Plus que la terre qui l’enserre et tout son or,
Sera le seul trésor qui puisse libérer
Un homme qui n’a même pas son âme à lui.
//traduit de l’anglais (américain) par Maurice Le Breton
ANNONCE
Il nous faut pour cette place un homme de quarante ans.
Un qui ait eu dans sa vie son petit roman.
Et souffre depuis lors d ‘indigestion chronique.
Quelqu’un dont les souvenirs soient suffisamment refroidis
[pour résister avec succès aux séductions de l’évasion.
Pour qui une montagne
n’apparaisse plus confusément comme un idéal
à escalader et d’où dévaler,
mais soit quelque chose en véritable pierre
tout hérissé d’une foule d’arêtes
où on se rabote le tibia et où on se casse le cou.
Pour qui un lac ou un fleuve
ou toute autre masse d’eau
ne soit plus un prétexte à y rechercher son image,
mais un endroit où on peut facilement se noyer
quand on n’a plus tout à fait les muscles qu’on avait.
Qui en est arrivé
à cette ultime désillusion :
ne pas pouvoir distinguer
les traits respectifs, les silhouettes, et que sais-je encore
de ses Jeannettes et Jeannetons de jadis,
et qui, s’il le pouvait, ne s’en soucierait plus,
consacrant le reste de ses jours à son bureau
où registres et livres de caisse s’empilent jusqu’au ciel.
Cet homme-là, nous serions sûrs qu’il resterait.
C’est un homme comme cela qu’il nous faut pour cette place.
//traduit de l’anglais (américain) par Maurice Le Breton