Je marchais. Il n'y avait rien d'autre que la marche, la pluie, la boue. Mes cheveux, mes vêtements étaient mouillés, je marchais pieds nus. Mes pieds, mes orteils étaient blancs, leur blancheur se détachait de la boue. Il faisait froid. La pluie était froide.
Hier tout était plus beau
la musique dans les arbres
le vent dans mes cheveux
et dans tes mains tendues
le soleil
En général, je me contente d'écrire dans ma tête. C'est plus facile. Dans ma tête tout se déroule sans difficultés. Mais, dès qu'on écrit, les pensées se transforment, se déforment, et tout devient faux. A cause des mots. (p.16)
- Vous, les étrangers, vous faites tout le temps des collectes pour des couronnes, vous allez tout le temps à des enterrements.
Je lui réponds :
- On s'amuse comme on peut.
Va là ou les gens sont heureux car ils ne connaissent pas l'amour. Ils sont si comblés qu'ils n'ont plus besoin l'un de l'autre ni de Dieu. Le soir, ils ferment leurs portes à double tour et attendent avec patience que passe la vie. (p.144).
Les choses vivent en moi et non dans le temps. Et, en moi, tout est présent. (p.121)
Le psychiatre me demande :
– Qui est Line ?
– Line n'est qu'un personnage inventé. Elle n'existe pas.
– Le tigre, le piano, les oiseaux ?
– Des cauchemars, tout simplement.
– Vous avez essayé de mourir à cause de vos cauchemars ?
– Si j'avais vraiment essayé de mourir, je serais déjà mort. Je voulais seulement me reposerje ne pouvais plus continuer la vie comme cela, l'usine et tout le reste, l'absence de Line, l'absence d'espoir. Se lever à cinq heurs du matin, marcher, courir dans la rue pour attraper le bus, quarante minutes de trajet, l'arrivée dans le quatrième village, entre les murs de l'usine ? Se dépêcher pour enfiler la blouse grise, pointer en se bousculant devant l'horloge, courir vers sa machine, mettre en marche, percer le trou le plus vite possible, percer, percer, toujours le même trou dans la même pièce, dix mille fois par jour si possible, c'est de cette vitesse que dépendent notre salaire, notre vie.
Hier, à l'hôpital, on m'a dit que je pouvais rentrer chez moi et recommencer à travailler. Alors, je suis rentré, j'ai jeté les médicaments qu'on m'a donnés, roses, blancs, bleus, dans les toilettes.
Le soleil est encore là, gauche, prêt à tomber. Les lampes ont enfoncé leurs racines au bord de la route.
Dans le soir déséquilibré, un oiseau meurtri prend son vol oblique mais, désespéré, il retombe à mes pieds.
- (...) Même si je devenais écrivain, je serais toujours un bon à rien, sans culture, sans éducation, un fils de pute.
- Oui, c'est ainsi. Je t'aime mais ce n'est qu'un rêve.