OQNI
Derek Künsken signe là un (presque) chef-d'oeuvre, sur le fond comme sur la forme. Un roman d'une ambition vertigineuse qui tient quasiment toutes ses promesses.
Pour commencer, ne vous fiez pas aux bêtises lues çà et là, présentant
le Magicien quantique comme un Ocean's 11 dans l'espace. On en est très loin, je vous rassure. de même, les avis de
Liu Cixin placardés en 4e de couverture sont, certes, justifiés, mais l'auteur chinois est loin d'égaler la maîtrise du style, des personnages et de l'intrigue de son homologue canadien.
Saluons d'abord la qualité de traduction de
Gilles Goullet, qui m'a donné l'impression de lire un texte en version originale presque tout du long. Je découvre en écrivant cette chronique qu'il est également le traducteur de Spin, qui ne m'avait pas du tout fait cet effet ; comme quoi, l'accord parfait tient autant au texte d'origine qu'à son traducteur.
Nous n'avons pas affaire à un roman choral (comme
La Horde du Contrevent, pour citer un classique), néanmoins la polyphonie est admirablement retranscrite, tout en nuances. Les voix et pensées des personnages alternent selon l'étape de la mission que nous vivons, ce qui procure une réelle dynamique et une diversité très appréciable.
Un tout léger point noir, cependant : cette manie de coller un point en plein milieu de ses phrases. Alors, ouais, cela donne du poids, de l'aplomb, mais à trop en abuser on risque de produire des idées incompréhensibles à la première lecture – c'est arrivé deux fois.
Ce roman est vivant ! Les protagonistes ont un passé, évoluent au contact les uns des autres et nous font vivre l'expérience d'une communauté dont les tâches et les objectifs savent s'adapter aux impondérables. Évidemment, une telle diversité d'espèces (humaines ou pas), de lieux et de sociétés appelle une curiosité que ce seul tome ne suffit pas à contenter ; il faudrait presque un roman pour développer chaque évolution de l'être humain originel.
L'aigreur et la vulgarité de l'homo-eridanus tiennent bien sûr au fait de son évolution peu amène et de son milieu de vie “sous pression”, mais j'aurais aimé m'immerger davantage dans la vie et la psychologie de ce Bâtard, dont l'amertume pour ses contemporains n'a d'égal que sa noblesse d'action. La société fantoche est passionnante à plus d'un titre ; la dépendance de ces êtres à la fois faibles et dangereux envers des dieux qu'ils continuent de nommer ainsi alors même qu'ils les maintiennent en captivité ; la chimie et le psychisme de créatures a priori aberrantes qui confondent malgré elles théologie, passion et adoration charnelle. Et tant d'autres détails des vies et des spécialités de ces équipiers au caractère bien trempé, frôlant souvent la folie.
Certains membres de cette fine équipe sont des badass confirmés, pour avoir déjà oeuvré ensemble dans des magouilles douteuses autant que dangereuses. D'autres sont simplement nécessaires à ce plan intriqué, car possédant un talent unique, ou alors simplement sacrifiables. Enfin, par allégeance, intérêt financier ou scientifique, les derniers ne peuvent refuser un projet d'une telle ampleur.
Künsken réussit le pari de nous offrir une vraie belle diversité de personnages, de caractères et de savoir-faire sans nous noyer sous cette abondance. D'autres romans ont tendance à nous perdre car les branches auxquelles se raccrocher sont trop minces, trop rares. Ici, l'équilibre est parfait, un vrai plaisir !
Le projet fou de notre magicien, l'homo-quantus Arjona Belisarius, chef d'équipe d'escrocs d'un nouveau genre, est à l'image de l'ambition de l'auteur. Faire traverser une flotte de vaisseaux innovants autant que mystérieux à travers un trou de vers contrôlé par une nation ennemie. Rien que ça ! Sauf que l'évolution de son cerveau quantique permet à Belisarius de traiter l'infinité de probabilités au-delà des informations qu'ont bien voulu lui fournir ses employeurs. le plan initial se transforme alors en véritable casse intersidéral. L'intrigue est complexe, intriquée (ouais, c'est le thème, paraît-il) et empreinte d'une douce fatalité que seuls les homo-quantus semblent pouvoir apprécier à leur juste valeur.
Évoquer l'univers quantique pourrait sembler prétentieux, voire casse-gueule. Honnêtement, l'auteur s'en sort plutôt bien. J'aurais voulu plonger plus souvent, plus longtemps dans cette compilation de données à la fois visuelle et euphorisante, toucher du doigt la vérité nue que la conception même de notre héros le destine à trouver. Quelques scènes, cérébrales et calculatoires, sont bien retranscrites ; une autre un peu moins, plus confuse, m'a laissé un arrière-goût de caprice inassouvi ; il n'en demeure pas moins que
Derek Künsken, par une simple pression sur ses molécules intriquées, réussit le pari de nous emmener loin, très loin, voyageant d'un bout à l'autre de ce tunnel de 320 années-lumière, puis dans le temps relatif d'un univers qui n'a pas fini de nous révéler tous ses mystères.
L'ensemble est réellement brillant, rythmé, les personnages attachants (même les plus détestables), et le thème… Ah ! le thème. J'ai beau ne pas être très friand de space-opera, cette aventure-là est à un pet de mouche quantique d'entrer dans mon TOP 10.
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