Autant on s'est beaucoup penché sur la colonisation de la Lune ou de
Mars, autant
Vénus a moins inspiré les explorateurs. On se demande bien pourquoi ? Serait-ce dû à sa température moyenne de 470°C ? Ou à son atmosphère épaisse constituée essentiellement de dioxyde de carbone ? Peut-être bien… Cela n'a pas empêché
Derek Künsken d'imaginer comment un groupe de colons québecois s'est retrouvé suspendu dans le ciel de
Vénus, à lutter pour sa survie.
Derek Künsken, si vous suivez les éditions Albin Michel Imaginaire, vous connaissez. C'est l'auteur d'une série que j'ai fortement appréciée : le cycle de l'évolution quantique. Une trilogie, en langue originale. Pas en français. Car vu le manque de succès des ventes, l'éditeur semble avoir décidé que The Quantum War, le troisième tome, ne serait pas traduit.
le Magicien quantique et le jardin quantique resteront donc orphelins en France [edit : suite à un échange partant de cette chronique, j'ai cru comprendre que l'éditeur ne ferme pas définitivement la porte à cette publication : cela dépend en partie du succès des Profondeurs de
Vénus]. le diptyque consacré à la planète
Vénus va-t-il permettre à l'auteur canadien de voir sa cote remonter p
ar chez nous ? Mystère. L'avantage, c'est qu'il n'est composé, comme son nom l'indique, que de deux romans (The House of Saints paraitra en août de cette année en V.O.). Alors je me retrouve, une nouvelle fois, à croiser les doigts pour que les chiffres soient suffisants et que la suite et fin paraisse dans l'Hexagone. Tout cela me fait fortement penser à ces lecteurices qui refusent de commencer à lire une série ou un cycle tant que le dernier tome n'est pas paru. J'ai toujours trouvé ce comportement excessif, d'autant que j'ai souvent du mal à réfréner mon impatience à la sortie d'un ouvrage. Mais ces temps-ci, je commence à réviser mon jugement. Parce que c'est terriblement frustrant de se trouver bloqué avant la fin de l'histoire (comme quand une série n'est pas renouvelée et que l'on se retrouve avec une fin un peu trop ouverte et des tas de questions en suspens). Et comme je manie assez mal l'anglais, je me retrouve parfois le bec dans l'eau. Dépité. Fin de la parenthèse éditoriale.
Vénus est souvent comparée à la Terre, car sa masse et sa taille sont assez proches. Mais pour le reste, diantre ! On comprend pourquoi les principales nations n'ont pas voulu la coloniser. Et pourquoi elles ont laissé le Québec s'en occuper : « Personne ne s'était opposé, soixante ans auparavant, au nouveau Québec souverain quand il avait revendiqué les nuages de
Vénus. » Nos cousins par la langue ont envoyé une centaine de familles de colons sur cette planète aux températures extrêmes. Ils y ont installé leurs sacs. Mais pas sur le sol : la surface de la planète se mérite. Elle abominablement difficile à atteindre tant les températures et pressions y sont intenses. Aussi, les colons vivent dans les airs. Dans des habitats flottants. Avec des sas d'entrée qui permettent de conserver un taux d'oxygène suffisant. Avec des routines de neutralisation, pour supprimer l'acide omniprésent dans l'atmosphère et qui laisse sa marque indélébile sur les peaux de ces habitants du nouveau monde. Surtout ceux qui vivent dans les altitudes les plus basses. Les coureurs. Des familles qui vient un peu en marge de cette société complexe qui s'est bâtie peu à peu. Société où le moindre matériau est précieux. La surface étant inaccessible, il faut se contenter de ce qu'on possède. Ou de ce qu'on peut acheter. Et on peut faire confiance aux Banques pour profiter de la faiblesse de la colonie. Or tout s'use vite. Très vite. L'acide ronge tout. L'acide pénètre partout. La vie est donc précaire et on est constamment en équilibre sur
Vénus.
Cette existence rude des colons, les pionniers l'ont choisie. Pas nécessairement leurs enfants. Car on en est à la génération suivante. À celles et ceux qui n'ont jamais vu de terre. Qui ne savent pas ce que c'est de marcher sur une surface solide et stable. Qui ne connaissent la couleur verte, inexistante sur cette planète teinte de jaunes multiples et variés, que par les plantes que les colons font pousser dans leurs habitats. Mais qui maîtrisent le vol dans les airs chargés d'acide à la perfection. Qui savent ne pas passer la ligne derrière laquelle les gens qui rentrent dans un habitat neutralisent les produits qui se sont accumulés sur leur combinaison lors de leur passage à l'extérieur. le moindre oubli et l'on est marqué dans sa chair d'une brûlure douloureuse et définitive.
Derek Künsken nous affirmerait qu'il a effectué un
voyage sur
Vénus, je le croirais sans hésitation (enfin, peut-être un peu) tant ses descriptions de cette planète et de son atmosphère sont riches et puissantes. À sa suite, on ressent la force et les caprices des vents. On sent et on voit presque les gouttes d'acide cogner la vitre de notre combinaison. On imagine sans peine les sensations procurées par un vol, des ailes sur le dos, au milieu des nuages jaunes. « L'averse d'acide sulfurique faiblit. Les nuages se déformèrent sous l'effet des changements de pression, avant de s'effilocher et de le relâcher dans la sombre caverne des Plaines. L'impression d'immensité était accablante. »
Et on croit apercevoir les chalutiers, immenses baudruches qui flottent dans et se nourrissent de l'électricité de cette atmosphère et de ses composants. Ces créatures m'ont instantanément fait penser aux méduses géantes de
Stephen Baxter et Alastayr Reynolds (
Les chroniques de Méduse, chez Bragelonne). Mais ici, les chalutiers sont de simples instruments. Pas de dialogues avec eux, pas d'interactions autres que pratiques. Les colons en capturent certains et les réunissent en petits troupeaux. Ils utilisent ensuite leurs capacités pour obtenir des éléments produits par ces sortes d'usines volantes. Cependant leur présence hante les paysages de
Vénus, cette planète qui est très souvent personnifiée par
Derek Künsken. «
Vénus passait toujours d'abord. » : elle semble avoir une volonté propre, exiger que l'on sacrifie une part de soi-même, voire des personnes pour accepter la présence de cette colonie. Déesse terrible et cruelle, elle est aussi un miroir qui permet à chacun de se révéler. Mais cela ne se fait jamais sans douleur. Et les personnages sont, pour beaucoup, pétris d'interrogations, de doutes, de souffrances.
Et je finis par ce qui a représenté, pour moi, le point faible de ce roman pendant ma lecture. J'insiste sur le fait que tout cela est très subjectif et personnel. Mais je ne suis pas parvenu à m'accrocher à ces personnages. Malgré leur diversité, malgré leurs histoires fortes, je suis, la plupart du temps, resté en dehors de leur existence. J'ai eu du mal à me passionner pour leur vie et pour leurs nombreuses tergiversations. Peut-être est-ce dû au fait que certaines préoccupations me sont totalement étrangères et que l'identification en devient plus difficile. Cela m'attriste un peu, car ils ont tout pour être sympathiques, ces personnages. Tout d'abord, leurs prénoms. Cela change considérablement des productions anglo-saxonnes habituelles quand Georges-Étienne donne la réplique à
Grégoire-Antoine. D'autant que le texte est empli de mots québécois, avec son lot de jurons bien sentis : « ostie » et « tabarnak », pour ne citer qu'eux, ponctuent les dialogues.
Et puis leur caractère : la famille dont nous suivons l'histoire, les d'Aquillon, ne sont pas du genre à se laisser faire. Ni par le destin, ni par le gouvernement. Parce que les parents attendaient un enfant dont on savait qu'il serait trisomique, les dirigeants de la colonie leur ont demandé d'avorter. Il ne faut rien gâcher et un enfant handicapé serait une gêne selon cette logique. Ni une ni deux, les d'Aquillon se sont placés au ban de la société et ont accepté des conditions de vie bien moins confortables. Et ils ont gardé Jean-Eudes, qui vit à présent avec eux. On peut ne pas partager leur choix, mais la force de leur volonté ne peut être remise en question. Des êtres humains entiers, donc, au destin desquels j'aurais aimé davantage m'intéresser.
Ben Bova avait pris
Vénus comme cadre d'un roman d'action efficace et distrayant en 2000. Vingt ans plus tard,
Derek Künsken lui offre un monument fait de larmes et de gouttes d'acide, de sang versé et d'électricité, d'amour et de haine entremêlés. Un portrait fort, réaliste. Une vision de la planète qui marque les esprits, comme l'atmosphère
vénusienne marque les peaux.
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