On était des poissons

"La vie est faite de morceaux qui ne se joignent pas." François Truffaut

Quelqu'un peut vous oublier. Celui qui se souvient a pour lui la souffrance et l'espoir de retrouver un jour cet autre qu'il aimait tant. L'oublieux n'a plus rien.

Ma solitude m'étend, me déploie, m'élargit. Rien ne m'est arrivé de si grand depuis que je suis née. Jamais je n'ai autant ressenti que j'existais.

Je ne voulais pas rire avec ma mère. Je ne voulais pas rire puisque je savais que nous avions enfin atteint le point où la haine était bien répartie de part et d'autre, à égalité. Je ne voulais pas rire parce que partager ce rire eût validé la semaine d'horreur que je venais d'endurer, de sadisme, de perversité, de retournements en tous genres, de violence. Je ne voulais pas rire pour ne pas cautionner les abus, la maltraitance, la duplicité.

J'ai eu le temps de t'aimer quelques jours, pitchoune. C'est beaucoup, et c'est pas assez. Je suis la mère d'un garçon qui perd ses nerfs, tu es la fille d'une folle. Nous avons ça en commun.

L'odeur de la bouillabaisse était insupportable. Je n'osais pas me boucher le nez. Je n'osais pas bouger en réalité, consciente d'être prisonnière de la sorcière à laquelle ma mère m'avait livrée pour me punir de me bâfrer de sucreries et de toutes ces choses par lesquelles on devient grosse, laide, dégoûtante.

ne mère est un singe dont on a sucé la cervelle. Une mère se venge sur sa progéniture. Elle veut occuper sa place.

Je lisais sur le visage de ma mère les minutes qui allaient suivre. Je ne le lâchais pas des yeux, de peur d'être surprise par une réaction trop fantasque, trop violente, trop, de toute façon.

Tu es seule, mon amour, et c'est pourquoi je t'oblige à marcher sans t'arrêter, parce que je t'aime et que je ne voudrais pas que tu sois une pleurnicheuse qui réclame "papa maman" pour un oui ou pour un non.

Quand on est jeune, on apprend vite, il faut garder le rythme, il  faut que je devienne aussi folle qu'elle.