Hans Memlinc (1430-1494) et Gérard David (1460-1523), les deux meilleurs peintres de cette période, occupent la plus grande place à l'Exposition; ce n'est que justice. Ni l'un, ni l'autre, non plus, n'est né à Bruges; le premier est Hollandais ou Allemand, venu de Memlinc, près d'Alckmaer, ou de Memmelingen, près Mayence; le second est Hollandais, originaire d'Oudewater. Jusqu'à la fin ce seront donc des étrangers, attirés à Bruges par la renommée de l'école et la générosité des amateurs, qui traduiront le mieux l'âme brugeoise. N'en était-il pas de môme à Venise et surtout à Rome, où si peu des artistes qui les honorèrent furent de race indigène? Mais comment, entre Van Eyck, mort en 1440, et Memlinc dont l'apparition à Bruges ne semble pas antérieure à 1467, peut-on combler l'intervalle? Qu'il y eût beaucoup de peintres autour des seigneurs bourguignons, des bourgeois enrichis et des résidents étrangers, nous le savons de reste; mais, parmi eux, quel fut celui, quels furent ceux dont l'esprit et la main préparèrent la transformation du naturalisme rigoureux de Van Eyck en l'idéalisme attendri de Memlinc par la fusion heureuse des traditions flamandes, brabançonnes et hollandaises? Un certain nombre de panneaux anonymes, provenant des églises et des couvents de Bruges, pourraient sans doute répondre à cette question, s'ils portaient des dates certaines; par malheur, ce n'est pas leur cas.
La conception de l'œuvre d'art, limitée et concentrée, se créant à la fois par la vérité et par la beauté, unissant toutes les séductions de la vie et de la couleur à celles de l'expression morale ou intellectuelle, telle que J. Van Eyck l'avait réalisée, était à la fois trop profonde et trop incomplète pour être facilement et simplement reprise autour de lui. Trop profonde, parce qu'elle eût exigé, de la part de ses successeurs, un génie scientifique de la même vigueur, ce qui ne se trouva point ! Trop incomplète, parce qu'en limitant la peinture à la représentation de quelques figures réelles, isolées ou peu nombreuses, elle ne répondait pas suffisamment aux besoins de l'imagination du siècle, accoutumée à des compositions religieuses ou historiques d'un intérêt plus général et plus vif !
Chez nous, les Romantiques, amis de la liberté, amis de la nature, amis du passé, avaient été, dès leur apparition, les propagateurs ardents des mêmes idées. Le remords et la honte d'une trop longue ingratitude nationale vis-à-vis de notre passé, le désir passionné de rendre justice au Moyen-Âge, anime et exalte tous les chefs du mouvement, depuis les poètes et romanciers, Victor Hugo, Alfred de Vigny, Théophile Gautier, P. Mérimée et tous les imitateurs de Walter Scott, depuis les historiens et archéologues (érudits ou artistes), de Barante, Augustin Thierry, Michel et, Vitet, de Gaumont, du Sommerard, Sauvageot, Didron, Lassus, Viollet-le-Duc, etc., jusqu'aux sculpteurs et aux peintres.
Thierri Bouts, bon Hollandais, était aussi un portraitiste supérieur. Qu'on regarde ici même une tête d'homme rasé, coiffé d'un bonnet rouge, calme, presque souriant, avec de bons gros yeux noirs, bien ouverts ! Qu'on regarde surtout le donateur et la donatrice du Martyre de saint Hippolyte, tous deux vêtus de noir, agenouillés l'un devant l'autre, sur la pente d'un talus, au-dessus d'une vallée o\i des escarpements sablonneux jaunissent sous des plateaux de vertes cultures, autour de l'habitation familiale, tous deux si graves et si pieusement recueillis !
L'histoire de la peinture ancienne a particulièrement bénéficié de ces tendances nouvelles. Désormais l'on s'accoutume d'y suivre, avec plus de plaisir et plus de profit, toutes les phases d'une évolution aussi constante dans ses causes intimes et profondes, qu'elle est variable dans ses manifestations, toujours plus ou moins soumises aux fluctuations des idées religieuses, sociales ou scolaires, des circonstances politiques, des préjugés et de la mode.