Citations sur Pour la sociologie (30)
Apprendre à être attentif, à développer une écoute patiente, compréhensive et curieuse, à relancer une discussion au bon moment pour qu'elle puisse se poursuivre, voilà un moyen concret d'acquérir certaines valeurs, qui, laissées à l'état de slogans démocratiques, relèvent le plus souvent du simple prêchi-prêcha.
Alors que l'on est spontanément enclin à réifier en "traits de caractère" ou de "personnalité" les comportements des individus avec lesquels nous interagissons, la sociologie rappelle au contraire que ces "traits" ne sont pas une propriété intrinsèque des individus en question. Ils sont les produits des relations d'interdépendance passée, mais aussi de la forme des relations sociales à travers lesquelles ils s'expriment. (p. 105)
Les arguments sur le "consentement" sont des arguments juridiquement pratiques, mais qui manquent singulièrement de profondeur historique et de contextualisation. Il faudrait toujours s'interroger sur quel type d'individu donne son consentement, à la suite de quoi et dans quelles conditions. Faute de se demander quelles sont les conditions sociales de production d'un consentement, c'est-à-dire dans quelles conditions, à la suite de quelle série d'expériences, et dans quels contextes biographiques, économiques, politiques ou culturels, on consent, on passe à côté de la réalité objective des rapports sociaux. (p. 74)
Aujourd'hui la sociologie n'est enseignée qu'à partir de la classe de seconde. Or l'enseignement pédagogiquement adapté de certains acquis de la sociologie et de l'anthropologie, dès l'école primaire, jouerait à mon sens un rôle crucial pour la formation de l'esprit scientifique des élèves.
La fonction sociale de [la] philosophie de la responsabilité est de légitimer les dominants et les vainqueurs de toutes sortes, notamment ceux qui réussissent scolairement comme professionnellement. Nous sommes riches, mais nous ne le devons qu'à nous-mêmes (mythe du self-made-man). Nous sommes scolairement brillants, mais cela tient uniquement à nos qualités intellectuelles (mythe du don) ou à nos efforts (mythe de la méritocratie). Nous sommes célèbres et reconnus, mais c'est exclusivement grâce à notre exceptionnel talent (mythe du génie). (p. 68-69)
Par exemple, parler de l'immigration comme d'un "problème" non seulement empêche de se demander ce que l'immigration apporte à la vie d'un pays, mais contribue à détourner l'attention publique sur une catégorie (les "étrangers") pour éviter de parler des inégalités économiques et sociales les plus criantes et qui touchent souvent en premier lieu les populations immigrées ou "issues de l'immigration".
Brandir Michael Jackson contre la sociologie (parlant de l'ouvrage de Philippe Val), il fallait y penser.
[La sociologie] agace forcément tous ceux qui, détenteurs de privilèges ou exerçant un pouvoir quelle qu'en soit la nature, voudraient pouvoir profiter des avantages de leur position dans l'ignorance générale. Elle provoque donc la colère de ceux qui ont intérêt à faire passer des vessies pour des lanternes : des rapports de forces et des inégalités historiques pour des états de fait naturels, et des situations de domination pour des réalités librement consenties. (p. 8)
Comprendre est de l'ordre de la connaissance (laboratoire). Juger et sanctionner sont de l'ordre de l'action normative (tribunal). Affirmer que comprendre "déresponsabilise" les individus impliqués, c'est rabattre indûment la science sur le droit.
Comprendre n'est pas juger. Mais juger (et punir) n'interdit pas de comprendre.
L'étude du social à l'échelle individuelle contribue à effacer un peu plus l'image d'individus abstraits, "sans attaches ni racines", disposant d'un libre arbitre, pour faire apparaître une image beaucoup plus adéquate d'individus pris dans des réseaux de contraintes tant intérieures (intériorisées sous formes de dispositions ou d'habitudes) qu'extérieures (contextuelles)