La dentellièrePascal Lainé (né en 1942)
Prix Goncourt 1974
Pomme est une fille tout ce qu'il y a de plus commun. Coiffeuse ou plutôt shampouineuse dans un petit village du Nord, elle est une fille de rencontre à laquelle on s'attache le temps d'une soirée ou de quelques jours. La beauté et la paix que l'on peut trouver chez elle s'apparente à de la fadeur. Et pourtant, elle a la justesse des gestes, une présence rassurante et dense, un sens pratique apaisant même si elle n'a pas le pouvoir d'exprimer ses émotions. Sa mère crémière et occasionnellement catin lui ressemble et toutes deux s'entendent à merveille ayant le même jugement sur les hommes qui ont des montres et des chevalières en or et des gros carnets de chèques « qui leur permettent d'éventrer les filles pendant que leurs femmes se ménopausent tout doucement à la maison… » Sa mère est sa seule confidente, le seul témoin de sa vie diaphane, le seul juge dont elle sait interpréter les silences. La principale force de Pomme c'est de n'être pas apte à se blesser d'un événement qui normalement touche :
« Elle est de ces arbustes qui trouvent toute leur terre dans la fissure d'un mur, dans l'interstice entre deux pavés et c'est de sa végétalité qu'elle tient une vigueur paradoxale. »
Pomme, dix huit ans, est ronde d'une rondeur posée comme son prénom le dit, ronde et rose. Elle n'a pas à provoquer, elle n'a pas à s'offrir :
« Elle est naturellement offerte comme à cette âge les filles dont le corps n'a pas encore rajusté ses allures à toutes les éventualités…C'est le miraculeux instant de la vie où même les plus laides gamines resplendissent un peu du désir qui les traverse, qui se cherche en elles et que nulle connivence n'a su réduire. »
Amie un temps de Marylène sa collègue du salon de coiffure, elle admire le physique de celle-ci. Vivant ensemble dans un studio, Pomme a le loisir d'être confrontée à la nudité souveraine et princière de Marylène :
« Poitrine abondante, mais ferme, elle est somptueuse, orientale, moelleusement sculpturale, ripolinée d'huile solaire…Le style de Marylène c'est Juan-les Pins, les chemisettes transparentes et le relief du slip sous le pantalon… ». Tout ce que Pomme n'est pas !
Puis c'est la rencontre avec Aimery, un étudiant désargenté qui en fait sa maîtresse. . Pomme sait qu'elle n'est pas celle que Aimery attendait quoiqu'il la surnomme
la dentellière de par la grâce de ses mouvements. Ce qui domine leur rencontre, c'est le silence :
« Il y avait quelque chose de poignant dans ce silence qui vivait à côté de lui. Exprimait-il seulement, mais avec une impressionnante, une presque brutale ingénuité, que les âmes sont des univers inéluctablement parallèles, où les embrassements, les fusions les plus intimes ne révèlent que le désir à jamais inassouvi d'une vraie rencontre ? »
Aimery souffre aussi de sa médiocrité personnelle et du silence et de la servilité de Pomme dont la quasi inexistence a un poids formidable. Paradoxalement, la présence de Pomme le fruste de son besoin d'elle. Car Pomme « est de ces âmes qui ne font aucun signe mais qu'il faut patiemment interroger, sur lesquelles il faut savoir poser le regard…Elles savent qu'elles sont de pauvres filles. Mais pauvres seulement de ce qu'on n'a pas voulu découvrir en elles. »
Aimery et Pomme iront-ils au bout du chemin qui semble s'ouvrir devant eux ? La force apparente de Pomme ne cèlerait-elle pas une faiblesse qui lui aurait été révélée par la fréquentation d'Aimery ? La suite de ce très beau et original roman baigne dans un érotisme léger et subtil mais in fine tragique et sans issue. le style est travaillé et parfaitement sculpté et le lecteur est pris à témoin comme faisant partie de l'histoire. Un petit joyau épuré de 175 pages.