Monet sourit à son tour, gêné.
- Je me rappelle ce que vous* écriviez au sujet de mes Cathédrales. Vous savez que je n'aime pas parler de ce que je fais, mais vous aviez vu si justement... alors qu'ailleurs ce n'était que pluie d'injures... Il n'y a que les moments, disiez-vous, pas d'état durable... C'est vrai !... Ce que je veux peindre, c'est cela : le monde en action... Et pour le suspendre, saisir ses variations, retenir ce qui se désagrège, il me suffit d'un étang... Tout y est !
[*Il s'agit ici de Georges Clémenceau, grand ami de Monet]
quand je peins la Seine, je n'ai que faire de l'idée de la Seine, je veux être la Seine. Quand je peins la gare Saint-Lazare, de même ! Je veux être le train, la vapeur du train, la structure de la gare, les passagers à quai, le quai... Et quand je peins le 14 juillet, oui, oui, vous m'entendez bien, quand je peins le 14 juillet, je veux être la foule, le drapeau français, la rue, les immeubles environnants, le ciel, la fête nationale ! Vous comprenez ? je veux devenir chaque chose que je peins ! Et plus que tout autre chose, je veux être l'eau ! L'eau à deux faces, à mille faces, qui porte et engloutit, passe et revient, absorbe et reflète, l'eau vers quoi tout chemine... (p. 23)