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Citations sur Le Lambeau (562)

Je me suis peu à peu mis sur le côté, puis redressé et adossé au mur, assis par terre, face à l'une des entrées . J'ai passé la main sur mon cou et je me suis aperçu que mon écharpe était toujours là,mais trouée . Devant moi il y avait presque sous la table le corps de Bernard et, juste à côté, dans le passage et sur le dos,celui de Tignous . Je n'ai pas vu sur le moment ce que le rapport de police, lu dix-huit mois plus tard, m'a révélé : un stylo restait planté droit entre les doigts d'une main,en position verticale .Tignous était en train de dessiner ou d'écrire quand ils ont fait irruption . Les enquêteurs ont noté ce détail, qui indique la rapidité du massacre et la stupeur qui a précédé l'exécution de chacun d'entre nous . Tignous est mort le stylo à la main comme un habitant de Pompéi saisi par la lave, plus vite encore, sans même savoir que l'éruption avait eu lieu et que la lave arrivait,sans pouvoir fuir les tueurs en disparaissant dans le dessin qu'il était en train de faire . Tout dessinateur dessinait sans doute pour avoir le droit de s'en aller dans ce qu'il dessinait, de même que tout écrivain finissait par se dissoudre, pour un temps, dans ce qu'il écrivait . Cette dissolution n'était pas une garantie de survie ni même de qualité, mais elle était une étape nécessaire sur le chemin qui pouvait y conduire . Cette fois, non seulement ce droit à la dissolution avait été refusé aux dessinateurs, mais il était arrivé exactement l'inverse : on les avait fait entrer de force dans un dessin qu'ils n'avaient pas imaginé,une idée noire de Franquin, et ils n'en étaient plus sortis . Si les tueurs étaient des possédés, mes compagnons morts étaient les dépossédés ? Dépossédés de leur art et de leur violente insouciance, dépossédés de toute vie . Quand Salman Rushdie avait été victime de la fatwa de l'ayatollah Khomeyni, l'écrivain V.S. Naipaul avait refusé de le soutenir en disant qu'il ne s'agissait,après tout, que d'une forme extrême de critique littéraire . Son sarcasme, beaucoup plus inspiré par son mauvais caractère et une critique désagréable que Rushdie avait faite de l'un de ses livres que par une sympathie qu'il n'éprouvait pas pour les musulmans, ce sarcasme n'était pas dépourvu de sens : toute censure est bien une forme extrême et paranoïaque de critique . La forme la plus extrême ne pouvait être exercée que par des ignorants ou des illetrés, c'était dans l'ordre des choses, et c'était exactement ce qui venait d'avoir lieu : nous avions été victimes des censeurs les plus efficaces, ceux qui liquident tout sans avoir rien lu .
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Quand ils sont jeunes, la plupart des gens jugent de tout. Quand ils vieillissent, c'est pareil. Entre les deux, il y a peut-être un moment où ils pourraient ne juger de rien, s'abstenir, s'amuser, ne prendre au sérieux que leur propre misère, mais ce moment est celui où ils agissent, bâtissent, font carrière ou la ratent ; le moment où ils s'y croient, comme on dit à l'école, et où ils ont rarement la possibilité ou l'envie de faire un pas de côté.
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Elle connaissait sa valeur et n'était pas économe de son mépris. Elle connaissait sa folie et n'était pas économe de sa raison. Elle connaissait sa dureté et n'était pas économe de son attention ni même de sa tendresse - à certaines heures, en tout cas, et sans témoins. Elle avait donné sa vie à la chirurgie, mais sans le proclamer : sa détestation de l'emphase et de la sensibilité était immédiatement perceptible et m'obligeait à tenir le rôle du patient stoïque, voire amusé.
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J'ai mis du temps à voir que son optimisme et sa civilité apparemment satisfaite cachaient, non pas un pessimisme, mais une conscience nette de ses limites.
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Il m’avait fallu atterrir en cet endroit, dans cet état, non seulement pour mettre à l’épreuve mon métier, mais aussi pour sentir ce que j’avais lu cent fois chez des auteurs sans tout à fait le comprendre : écrire est la meilleure manière de sortir de soi-même, quand bien même ne parlerait-on de rien d’autre.
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Ecrire sur mon propre cas était la meilleure façon de le comprendre, de l'assimiler, mais aussi de penser à autre chose - car celui qui écrivait n'était plus, pour quelques minutes, le patient sur lequel il écrivait: il était reporteur et chroniqueur d'une reconstruction.
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Quand on veut, on peut ? Ils sont dangereux, ceux qui pensent ça.
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Enfant d’une famille noble et de militaires, la petite Ophélie était étudiante en école de commerce. Trois jours après le 7 janvier, elle est enfermée sur un balcon, dans une station de ski, par de facétieux compagnons de promotion. C’est la nuit. Il fait très froid. Elle est au deuxième étage. Elle veut passer par le balcon voisin, jusque-là c’est une farce, mais elle glisse ou perd l’équilibre – elle ne se souvenait plus – et elle tombe. Comment, elle ne sait plus : les événements les plus brièvement violents et inattendus prennent toute leur place dans nos vies, puisqu’ils vont les bouleverser, mais les détails de leurs minutes irréversibles semblent échapper à nos mémoires – et je n’écris qu’avec le mince espoir de les restituer en partie. Proust se rappelle tout, peut-être parce qu’il ne lui est arrivé à peu près rien ; mais il aurait sans doute oublié, comme la petite Ophélie, de quelle façon il est tombé un soir d’hiver du balcon des Guermantes sur le pavé disjoint – lequel ne lui aurait rien évoqué d’une enfance désormais abolie. Et, au lieu du temps perdu et retrouvé, nous aurions eu droit à ce que nous vivions : au temps interrompu. Le livre aurait été plus court, moins génial sans doute : le génie aussi est déterminé par les limites qu’il franchit. Le temps de l’événement brutal est obscur et infini. Il n’a pas de limites.
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Avec l'été, les sorties se multipliaient. Un soir, je suis allé à ma première soirée mondaine. C'était une fête donnée par une amie du monde de l'édition, sur le toit du musée de la Marine. Ce toit semblait abandonné, avec ses différents niveaux, ses pierres fendues et ses murs écaillés. Quelques herbes folles avaient poussé. Plutôt que d'assister en survivant quinquagénaire à un cocktail, j'aurais préféré avoir sept ans et jouer ici à Robinson Crusoé. Je regardais chaque recoin en imaginant une cachette, une cabane. Je suis tombé sur des écrivains que je n'avais pas vus depuis longtemps et à qui je ne savais trop quoi dire. Les petits-fours m'étaient interdits, alors je buvais du champagne. Mes policiers s'étaient mis dans un coin avec ceux d'un autre protégé, Michel Houellebecq. Lui s'était recroquevillé dans un coin, en compagnie d'une femme souriante, elle-même écrivain, aujourd’hui morte. Je n'avais jamais rencontré Michel Houellebecq, l'homme qui le 7 janvier avait été notre dernier sujet de discussion. Nous nous sommes serré la main. Il semblait détruit, minéral et compatissant. Son sourire s'arrêtait au bord de la grimace. Là où il se trouvait il prenait souche, avec sa tête sans âge et sans sexe, son allure de fétiche passé au feu. J'ai pensé que tout homme prenant sur lui, avec autant d'efficacité, le désespoir du monde, devait remonter le temps pour finir dans la peau d'un dinosaure. C'était l'animal que j'avais maintenant sous les yeux, et, alors que nous murmurions quelques mots peu compréhensibles sur l'attentat et sur les morts, il m'a regardé fixement et il a dit cette parole de Matthieu : « Et ce sont les violents qui l'emportent ». Je suis rentré quelques minutes après (pp. 501-502).
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Je ne supporte pas plus les discours anti-musulmans que les discours pro-musulmans. Le problème, ce ne sont pas les musulmans, ce sont les discours : qu'ils foutent la paix aux musulmans ! (p. 288)
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