Quand on se tait, on sonne juste.
L'attentat fend l'arbre à l'intérieur duquel le gens vivent, aiment, se séparent, se retrouvent, se souviennent, vieillissent. Il crève le tourbillon de la vie.
Peu après l'attentat, elle m'avait dit un soir dans ma chambre : "La tentation du chirurgien est d'aller le plus loin possible, de s'approcher de retouche en retouche du visage idéal. Évidemment, on n'y arrive jamais et il faut savoir d'arrêter." C'est pareil avec un livre, lui avais-je répondu. On essaie de rapprocher celui qu'on écrit de celui qu'on imaginait, mais jamais ils ne se rejoignent, et il arrive un moment où, comme vous dites, il faut savoir s'arrêter. Le patient reste avec sa gueule tordue, ses cicatrices, son handicap plus ou moins réduit. Le livre reste seul avec ses imperfections, ses bavardages, des défauts. Nous en avions banalement conclu que l'horizon n'est pas fait pour être atteint.
J'ai cessé de tenir un journal quand j'ai compris que je ne me rendais plus compte de ce qui disparaissait. A quoi bon fixer des instants dont les traces elles-mêmes ne signifient plus rien ?
p. 130 Je voulais tout bien faire pour que l’on ne puisse rien me reprocher. Je voulais être en règle avec les autorités. Plus la situation devenait extraordinaire, plus je voulais être conforme. Plus je comprenais que j’étais victime, plus je me sentais coupable.
Dans le service, il y avait ceux qui, comme Christiane, la cadre du service, pleuraient les figures sarcastiques de leur jeunesse, et, avec elles, un morceau de civilisation bien française . Elle avait accueilli mes parents les larmes aux yeux . Cabu, Wolinski, comment avaient-ils pu ? Mes parents n'avaient jamais ri avec Cabu et Wolinski parce qu'ils ne les avaient jamais lus .
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Christiane aurait pu être un personnage de Wolinski, une créature méchante et sensuelle, avec les yeux d'un tigre prêt à sauter sur n'importe qui, et peut-être voyait-elle mourir avec Georges des possibilités intimes de caricature et de fiction . Les morts nous avaient fait don des ridicules que nous avions, mais aussi de ceux qu'on aurait pu avoir . Avec elle et quelques autres, mes parents découvraient qu'on pouvait être sérieux, selon leurs critères en tous cas, et profiter de l'humour des dessinateurs de Charlie . Il n'y avait pas tant d'hommes sur terre pour faire rire les autres de tout et de n'importe quoi, les faire rire en réveillant en eux ce qu'ils avaient en eux de naturel, de mauvais goût, d'enfantin, d'anarchiste, d'indigné, d'infréquentable, d'antiautoritaire, de récalcitrant . C'était drôle de laisser parler ses monstres, puis de sortir tout propre et bien habillé .
« La tentation du chirurgien est d’aller le plus loin possible, de s’approcher de retouche en retouche du visage idéal. Evidemment, on n’y arrive jamais et il faut savoir s’arrêter. » C’est pareil avec un livre, lui avais-je répondu. On essaie de rapprocher celui qu’on écrit de celui qu’on imaginait, mais jamais ils ne se rejoignent, et il arrive un moment où, comme vous dites, il faut savoir s’arrêter. Le patient reste avec sa gueule tordue, ses cicatrices, son handicap plus ou moins réduit. Le livre reste seul avec ses imperfections, ses bavardages, ses défauts. Nous en avions banalement conclu que l’horizon n’est pas fait pour être atteint.
Il fallait aimer les tuyaux car, s'ils vous violaient, c'était pour votre bien. Ils vous apportaient l'eau, le sucre, la nourriture, les traitements, les somnifères, et finalement la vie, la survie et le soulagement. C'étaient des tyrans bienveillants.
Quand on se tait, on sonne juste.
J’ai vu bien des spectacles et lu bien des livres dont je ne me souviens pas, même après leur avoir consacré un article, sans doute parce qu’ils n’éveillaient aucune image, aucune émotion véritable.