Debout

L’amour n’a pas de mobile. Encore la traversée d’un pont – au beau milieu des ponts nous proclamons notre amour, depuis le Szabadság híd, le pont de la Liberté, à Budapest, en 1998. Paul dit qu’on ne peut jamais aimer trop. L’espace, la musique, l’amour. Les traverser encore et encore.

Pour soutenir l’insoutenable et vivre, vivre avec toi qui n’es pas là, j’ai besoin d’exister au sein de cet univers maritime. Dans la Chine du peintre Shitao, on peint pour être en harmonie avec le monde.

Pourtant, je reste forte grâce à notre amour, au soutien de ma famille et de mes amis. En moi, la promesse de l’océan, l’idée d’écrire un livre par océan en commençant par le Pacifique, le désir de peindre le Pacifique, tout cela me porte, même si je ne sais pas pourquoi je suis en vie quand tu es mort. Je suis un maillon brisé, vivant. Manquent ma moitié et mon lien avec le monde : le corps et l’esprit de Paul. Brisés, l’amour, le sexe, la raison d’exister et de respirer, la joie, le partage, la conversation. Comment faire pour que la chaîne tienne solidement ? Redevenir solidaire, ne pas sombrer ? Tout sera long : le manque absolu de toi, le temps de la guérison des blessures, la solitude, la justice pour ta mort, pour nous.

Le temps illimité c’est le désir de se retrouver ensemble avant tout le reste comme la chose la plus importante ce désir entretenu par les autres désirs le désir de mettre en forme le désir de travailler avec les autres de créer quelque chose on a tous le même besoin de ce temps illimité tu sais tout Paul sur le temps illimité du désir.

La connaissance des profondeurs les mains qui ont fouillé dans mon corps en déplaçant l’aorte l’estomac les poumons au milieu du sang et des autres organes.

Le temps se compresse en un refus de la douleur physique : mon corps est ton corps. Les possibilités d’agir sont réduites.

Au -delà du cercle proche, les écrivains que tu publies, toutes ces voix que tu as entendues et qui poursuivent une œuvre littéraire, les existences grâce à toi enrichies, et tous les liens tissés, primordiaux, d’amitié et de travail, de partage, de joie, de vie et de pensée, toutes ces personnes ont besoin d’assister à ce moment que personne n’aurait jamais voulu vivre. Quelle douleur plus forte que le manque de toi, arraché à la vie par cet accident brutal ?

Quoi de plus banal qu’un accident de voiture, comme si on allumait son ordinateur, qu’il explose, et vous tue.