Il est curieux que le maréchal de Saxe et Candide ne se soient jamais rencontrés. Fort amis de Voltaire l'un et l'autre, ils naissent au même moment, entre le Soleil et les Lumières, et dans un même lieu, cette Allemagne, si riche alors en principautés ratatinées, en monarques de chiffon, en courtisans lunatiques.
L'histoire a un inconvénient. Elle peint seulement le visible. Elle ne dit que ce qu'elle ne connaît. Elle ne connaît que le connu : imbattable pour répéter ce qui laissa témoignage dans les annales, les chroniques, les livres de raison, les archives de paroisse ou les chancelleries, comment rapporterait-elle les silences et l'inexaucé ? Elle rate le plus important : le tohu-bohu des âges muets, les longues laisses de temps durant lesquelles s'est cristallisé un peuple, une enfance de peuple. Comment ferait-elle écho, l'Histoire, aux préambules inexistants, aux rois fantômes, aux déambulations sans empreintes . Elle donne à voir quelques grains d'or philosophal au fond de l'alambic mais que dire des interminables veilles au fourneau durant lesquelles le plomb a mûri ses métamorphoses ? Du drame des peuples, elle ne saurait retenir que ce qui en effet advint, le mince chemin sur lequel la caravane des hommes a passé : des étendues qui bordent le chemin, de ces précipices ou de ces nuits dans lesquels ont remué des millions d'événements inaboutis, d'événements mort-nés, comment nous fournirait-elle la trace ?