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Critique de delitterys


Le petit chaperon rouge fait, ce me semble, partie des contes de notre enfance les plus réécrits : on le teinte de bleu marine chez Dumas et Moissard ou de vert chez Solotareff, on en tire un livre puis un film d'un érotisme et d'un féminisme troublants (La compagnie des loups, d'Angela Carter, merveille transposée au cinéma par Neil Jordan), on le parodie, le met en scène dans des publicités, et ne cesse, globalement, de le réinterpréter.

Gilbert Lascault l'a bien senti : « à toutes les époques, dans de multiples pays, sur terre, au fond des mers, sur les autres planètes, dans chaque galaxie, dans le passé, dans le présent, dans l'avenir, il a existé, il existe, il existera des Petits Chaperons Rouges ». de cet implacable constat, il fait jaillir un canevas de micro-histoires remâchant, comme le loup la grand-mère, la force et la symbolique de ce conte.

Peu importe que le loup soit vainqueur ou suicidaire, que la bobinette ne choit pas ou que les noisetiers soient vierges de tout fruit, que la galette soit oubliée ou la grand-mère absente, que le chaperon soit routière, esquimaude, aguicheuse, déesse, sirène, blanche comme la neige, que l'histoire se déroule dans la plus haute Antiquité, au XIe siècle en Livonie, au fond de l'océan Pacifique, en 1915 aux côtés de Lénine ou en 1789 au pied de la Bastille, sur Beltégeuse, Andromède ou Véga, voire même dans les mots d'autres écrivains (Dante, Hugo, et, pourquoi pas, Lautréamont chez ce loup à la géniale grandiloquence) ou d'autres histoires (Les trois petits cochons, Blanche Neige, Peau d'âne)… L'histoire originelle, obsessionnelle, demeure, malgré des changements de canevas, et, avec elle, sa faculté à réinterpréter des moments de vie (l'entrée dans la vie de femme, le rapport à l'homme…).

De ces Exercices de Style -on ne peut que penser à Queneau en lisant ces variations- émerge alors une (éternelle ?) définition du conte comme moyen de lire, de délier le monde… mais aussi la langue. Et quelle langue ! Tour à tour ludique et poétique (« Je suis le Briseur d'os, le Brasier qui flamboie, celui dont les griffes sont cachées, celui dont les dents sont toujours renouvelées, celui dont la gueule est dans son repli, celui qui se place dans son haleine puante et embrasée, celui qui fait tout pour rentrer dans la nuit… »), enlevée ou concise (« exigez le véritable Petit Chaperon. Il se reconnaît à son emballage rouge »), conteuse ou elliptique, elle est un véritable motif de réjouissance, tout comme les dessins l'accompagnant, au trait tour à tour tendre ou sarcastique.

En refermant ce bouquet de variations, on a le sentiment d'avoir été confronté à l'une des meilleures prolongations adultes à cet extrait de notre enfance : un Chaperon bondissant de pulsions, d'obsessions enfin exposées au grand jour, un Chaperon délié, libéré, que l'on rangera volontiers à côté des versions d'Angela Carter et Jean-Pierre Enard, à qui le livre est d'ailleurs dédié.
Lien : http://www.delitteris.com/in..
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