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C'est tellement fort et dérangeant qu'il est difficile d'en faire une critique. En fermant la dernière page, une sensation d'injustice et de malaise. L'histoire ? Une femme qui approche des 50 ans, écrit une lettre à un amant écrivain, la vieille d'un procès où elle doit comparaître. Elle y relate son viol alors qu'elle avait 15 ans. Une grande partie est autobiographique. Pourvu qu'un tel roman aide des femmes et mette du plomb dans la tête de certains hommes ! Merci à Flo.

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« La barbarie a toujours des traits humains, c'est ce qui la rend inhumaine. » H. Mankell

Lorsque je commence un livre, j'évite de lire la quatrième de couverture, le contenu des critiques (je ne lis que la fin pour savoir si le livre a été apprécié ou non) et ne veux rien savoir de l'auteur. Suspense total.
Alors, pour ce livre, évidemment, ce qui m'a frappée, c'est la justesse des sentiments, l'expression d'une profonde et réelle souffrance : j'ai tout de suite pensé que tout cela était du vécu, que je lisais le témoignage d'une femme violée.
Hélène Duteuil, la narratrice, enfermée dans une chambre d'hôtel près du Palais de Justice de Grenoble est appelée à comparaître.
Le 14 juillet 1984, alors qu'elle était monitrice dans un camp de vacances pour adolescents, elle a vécu le pire : une destruction totale, absolue, complète, un acte dont personne ne se remet même avec le temps, une annulation de soi-même : un viol.
Mais, au lieu d'en parler, de peur d'être considérée à vie comme une victime, de crainte de devoir raconter sans cesse cette histoire terrible et de la revivre à travers les mots, elle s'est tue : « L'oubli est une stratégie de survie, un processus sélectif et dynamique, un choix imposé d'obscurité sur une partie de sa mémoire, suivi du mensonge qui pose les bases d'une autre réalité, plus facile à digérer. J'ai passé ma vie à tout contrôler pour éviter le raz de marée, à mettre en place une histoire instinctive et chaotique, à inventer le quotidien de ma prison en créant un personnage de « survivante » qui impose silence et respect, mais aujourd'hui ça m'explose à la gueule. », « Maintenant que tout a resurgi, je peux affirmer que la mémoire est un champ de bataille. L'oubli est un meurtre et, qu'il soit conscient ou inconscient, il fait toujours des dégâts. »
Hélène a maintenant 47 ans, elle est une femme écrivain renommée et, lors d'un salon littéraire, elle a rencontré Léo, jeune romancier, qu'elle doit retrouver à Paris. Elle sait que Léo vit en couple et Hélène préfère s'effacer. Pourtant, celle qui ne s'attache à rien ni à personne semble éprouver des sentiments sincères. Pour une fois. Elle lui écrit une très longue lettre pour lui expliquer qui elle est et ce qu'elle a vécu.
Alors, elle raconte la douleur qui a refait surface à l'occasion de ce procès : « j'ignorais que ma douleur n'avait jamais été digérée et que, à mon insu, elle ne faisait que suivre au ralenti la trajectoire d'une balle qui transperce le corps, jusqu'à la sortie. » La jeune femme a vécu ce que l'on appelle « un refoulement », « un processus actif qui maintient hors de la conscience les représentations inacceptables ». « le cerveau met les souvenirs « de côté » en créant une amnésie dissociative : je m'étais retirée de l'équation en me dissociant de l'acte que j'avais subi. » On pense avoir presque oublié alors que tout reste dans un recoin du cerveau prêt à exploser. Une vraie bombe à retardement. Les mots de la narratrice sont forts et m'ont bouleversée. Je comprenais que l'auteur avait vécu tout cela, certains mots ne trompent pas.
Et pourtant, Qu'il emporte mon secret est un roman comme l'indique la page de couverture. Effectivement, c'est un livre construit comme un thriller, qui tient son lecteur en haleine et dont la révélation finale m'a fait douter de ce que j'avais cru comprendre auparavant. J'ai dû faire marche arrière pour relire certains passages … je n'en dis pas plus, évidemment…
Finalement, ce que nous dit cette oeuvre, c'est qu'à la destruction de soi commise par le viol s'ajoute la destruction de soi perpétrée par le silence, le non-dit : même si c'est dur, même si, sur le moment, on a l'impression que l'on va y rester, mieux vaut parler, s'exprimer pour faire sortir de soi ce qui ronge et tue lentement.
Une oeuvre forte : les mots sont justes, précis, ils disent enfin ce qui est resté caché, enseveli au plus profond de l'intime. Puissent-ils libérer, ou du moins, apporter un peu de légèreté à une femme meurtrie…
En tout cas, ces mots, nous, lecteurs, nous les avons entendus et nous ne sommes pas près de les oublier.

Lien : http://lireaulit.blogspot.fr/
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Avertissement aux futurs lecteurs de Qu'il emporte mon secret : préparez-vous à une nuit blanche, ou très courte selon votre rythme car ce livre, vous ne pourrez pas le lâcher avant d'avoir déroulé jusqu'au bout le fil de cette intrigue tissée de main de maître. Une plongée rare dans l'intimité d'une femme, une confession qui prend aux tripes, une mise à nu qui ne peut laisser personne indifférent. La parole d'Hélène fait mouche, peut-être parce que nous avons l'impression de la connaître cette femme blessée, rafistolée avec les moyens du bord, mais debout.

Dans une chambre d'hôtel proche du Palais de Justice de Grenoble, Hélène attend sa comparution en tant que témoin cité au procès de Joël Domois. Un événement qui la ramène plus de trente ans en arrière et l'oblige à revivre le drame qui a brisé sa vie. Hélène avait 16 ans lorsqu'elle a été agressée et violée dans un camp de vacances où elle encadrait un groupe de jeunes en difficultés. de longs mois de convalescence pour réparer le corps mais les dégâts psychologiques, la femme de désormais 47 ans continue à les subir malgré l'apparente force qu'elle dégage. Ecrivain à succès, Hélène consomme les hommes, l'alcool et les cigarettes comme autant d'antidotes à un mal-être qu'elle tente de cacher pour mieux le nier. A 16 ans, Hélène a pris la décision d'enfouir cette nuit d'horreur au fond de sa mémoire et de l'ignorer. Pourtant, sa rencontre avec Léo, un jeune primo-romancier la bouleverse bien au-delà des sentiments qu'elle s'accorde habituellement. Une sorte de déclic qui l'incite à regarder sa vie en face et à affronter ses démons pour peut-être se donner une nouvelle chance de vivre. Elle entreprend alors d'écrire à Léo et de se raconter, sans aucun fard, suspendant le lecteur à sa plume.

Si le lecteur est tenu en haleine, c'est pour deux raisons. L'intrigue d'abord. Cette confession d'une femme obligée de ré explorer les méandres de souvenirs volontairement enfouis afin de retrouver la vérité parmi toutes celles qu'elle a érigées comme des armures, cette confession se lit comme une enquête policière. Qui est ce Joël Domois ? Quelle est son implication dans le drame ? Comment s'est-il retrouvé sur son chemin trente ans après ? Rien à dire, c'est parfaitement tenu, jusqu'à la révélation finale. Mais le charme agit aussi et surtout dans la proximité qui nait entre Hélène et le lecteur. Parce que les doutes, les dénis, les dérivatifs, les sentiments muselés, les non-dits, les incompréhensions, quels que soient les niveaux des drames auxquels ils renvoient, ce sont des maux communs à tous. Taire, ne pas s'exposer, garder pour soi... qui n'a pas été soumis un jour ou l'autre à cette injonction ? Alors imaginer ça à la puissance 10 face à l'horreur subie par Hélène...c'est dans le ventre que ça se passe.

Un livre fort qui fait en quelque sorte le procès du silence qui enferme une victime et lui impose ainsi une double peine. La parole, l'écriture apparaissent ainsi comme des moyens de retrouver la lumière et un nouvel équilibre. C'est ce que l'on souhaite à Hélène en refermant ce livre bouleversant de vérité.
Lien : http://www.motspourmots.fr/2..
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Une structure emmêlée pour inviter le lecteur à tirer lui aussi les ficelles d'un retour à la mémoire. Le retour sur un viol. Un viol nié pour choisir la vie.

Les coupables peuvent-ils s'échapper sans que jamais leurs crimes soient jugés ?
Lien : http://noid.ch/quil-emporte-..
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Le contenu de ce livre écrit en 2017 fait écho à l'actualité, et l'engouement social pour la victimologie notamment dans le cas des agressions sexuelles. À une rencontre littéraire à Chambéry à laquelle participait l'auteure, j'avais fait dédicacer cet ouvrage choisi pour l'aspect « policier » du sujet. Certes, une intrigue judiciaire est le fil conducteur du roman. En fait, le récit, d'ailleurs dans un style très agréable, prétexte d'une relation amoureuse furtive d'une nuit pour aborder la place des victimes et de la portée de leur plainte dans l'action en justice.

La missive à propos d'une courte romance sans lendemain risquait d'augurer un pâle immobilisme. Et pourtant, son contenu ne manque pas de relief. En effet, la sensualité née d'une interaction entre deux êtres va laisser place à un épisode douloureux et traumatisant vécu par une adolescente, mais raconté avec le recul de trente années de silence. La surprise finale proviendra d'une chute à un moment où l'on ne s'y attend pas.

En parallèle de cette histoire personnelle dramatique à l'adolescence, l'auteure nous déploie son cursus pour parvenir à réaliser sa carrière d'écrivain reconnue. La qualité de son travail lui garantit de subvenir à un confort matériel appréciable par rapport à d'autres. À l'instar du destinataire de sa missive, beaucoup d'écrivains en herbe inspirés et passionnés par le travail d'écriture ne peuvent vivre des ventes de leurs ouvrages.
Des détails sur le blog
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" Un viol n'est pas qu'une intrusion corporelle, c'est une invasion totale."

Hélène, proche de la cinquantaine, est un écrivain qui a acquis une certaine notoriété. Dans un salon littéraire elle a rencontré Léo, un jeune écrivain plus jeune qu'elle avec qui elle a eu une brève aventure.
C'est au travers d'une longue lettre qu'elle lui adresse que nous allons découvrir le passé d'Hélène. le récit alterne entre le passé (et l'évènement qui a bouleversé sa vie) et le présent (Hélène est à Grenoble, à la veille du procès dans lequel elle va témoigner contre un homme.)

Quelque temps avant, lors d'un atelier d'écriture à la prison de Nantes, elle s'est trouvée confrontée à cet homme et à son passé. Un passé qu'elle a enfoui depuis 31 ans, pratiquant une amnésie de défense, elle a choisi de qualifier "d'accident" le viol qu'elle a subi à l'âge de 16 ans, un véritable déni...
Depuis ce drame elle a survécu grâce aux cigarettes, à l'alcool et aux hommes. Elle a enchainé les amants qu'elle refusait d'aimer "elle tient l'amour à distance", les quittant dès qu'ils s'attachaient. Une cynique croqueuse d'hommes, une femme qui contrôle sa vie mais dont la solitude est immense.

J'ai aimé le monde des écrivains dans lequel Sylvie le Bihan situe son histoire, il est question de salons littéraires source de rencontres, d'ambiance de colonie de vacances pour les auteurs, de conseils donnés à jeune romancier par une auteure chevronnée...
J'ai aimé la pudeur de l'auteure pour évoquer le drame qui a frappé Hélène, sans décrire l'acte mais en choisissant de développer ses conséquences.
J'ai aimé l'écriture poétique de Sylvie le Bihan et j'ai trouvé la technique narrative utilisée très habile.

Ce roman poignant m'a beaucoup émue d'autant plus qu'il a une grande part autobiographique, cependant Sylvie le Bihan se refuse à le qualifier de témoignage. Par le biais de ce roman, elle parvient à aborder son drame intime et à lui donner une dimension universelle. Elle parle du poids de la culpabilité que ressentent souvent les victimes. Elle interroge le rapport de la femme à l'amour, le plaisir féminin ... et m'a complètement bluffée par la fin très surprenante qu'elle donne à son récit.
Un très beau roman qui prend aux tripes !



Lien : http://leslivresdejoelle.blo..
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« Qu'il emporte mon secret » ce livre écrit par Sylvie le Bihan Gagnaire ressort en poche ( sorti en 2017). Un ami m'avait dit qu'il était difficile. Impossible de reculer devant cette histoire de viol, car il s'agit bien de cela, mais surtout du chemin de reconstruction après « Ça ». Il s'agit pourtant d'un roman, mais qui puise dans le vécu de la romancière.
Hélène, une écrivaine à succès est violée alors qu'elle est animatrice dans un camp d'ados. Elle ne dit rien ou presque et ne porte pas plainte. Sa famille, puis un gendarme l'exhortent à conserver le secret. Plus tard, à l'occasion d'un salon, elle est attirée par un jeune auteur, Léo, avec lequel elle partage une nuit d'amour. Quelques années plus tard, elle identifie son agresseur. Elle se retrouve sur le point de témoigner contre lui à son procès. Dans l'attente de son témoignage, enfermée dans une chambre d'hôtel, armée de ses cigarettes, les souvenirs, les dommages irréparables sur son psychisme et sur sa construction de femme, sa confiance, sa capacité d'aimer ou d'être heureuse remontent à la surface et la submergent. Elle écrit alors une longue lettre à son jeune amant d'une nuit et ne lui cache rien.
Le passé enfoui à grands efforts de caractère et d'obéissance rejoint le présent qui la fait vaciller et la fait douter de la solidité de cette vie parallèle qu'elle s'est efforcée de construire derrière les lézardes profondes que cet accident a causées. Fauchée à la base de sa construction, de femme, d'amoureuse, d'amante elle s'efforce de révéler les dommages de cette vie en double. Cet exercice de vérité, de sincérité intime, de mise à nu de son traumatisme est ciselé dans une plume-scalpel, précise, chirurgicale, aussi glaçante qu'intense. Aucun mot de trop, on ne peut en changer aucun. Ils sont tous indispensables, nécessaires, justes et à leur place. Aucun terme déplacé, violent, malaisant et pourtant l'intensité des souffrances est profondément sincère.
La vérité nue de la confession épistolaire confère à la cruauté inconcevable de ces quelques 10 lignes consacrées réellement à ce moment où tout bascule, une élégance presque provoquante, mais épargne le lecteur de tout déballage indécent.
Le traumatisme d'Hélène surgit, sans avoir été traité, comme un diable de sa boîte. Seules les distances qu'elle a imposées à son « nouveau monde » (l'alcool, les amants, la provocation…et la lettre, ultime distance avec cet amant charmant loin de sa chambre d'hôtel) lui ont permis de construire malgré tout, pour avancer, pour donner le change, pour faire comme on lui a dit, mais surtout pour faire comme elle peut avec ce qui lui reste d'elle. Totalement bouleversant!
Ce roman est aussi un thriller ; un criminel est sur le point d'être jugé. La fin vous coupe le souffle et les jambes, dernier coup de lame.
Une lecture, intense, profonde, forte et bouleversante.
Difficile de dire que j'ai aimé. J'ai reçu ce livre comme un uppercut et j'en conserve l'hématome profondément tatoué à l'âme.
A lire incontestablement et à faire lire.
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"Qu'il emporte mon secret" de Sylvie le Bihan
Éditions Seuil
Parution le 12/01/2017

Très chère Hélène,

J'ai découvert votre poignante histoire à travers les mots et la plume puissante de Sylvie le Bihan. J'ai été très touchée par votre parcours, ce que vous avez subi, autant par le passé qu'à l'instant présent de votre narration. J'ai maintes fois eu envie d'hurler, comme ressentant vos souffrances et votre désemparement.
Le hasard a remis sur votre route celui qui vous a anéantie et volé cette partie de votre être, un bout de votre vie. Il a suffit d'une lettre...
"Surtout que le nom de l'accusé, Joël Domois, n'appartenait même pas à mon passé jusqu'à ce que je le croise par hasard, ce jeudi 29 octobre 2015, dans la bibliothèque du centre pénitentiaire pour hommes de Nantes."

J'ai aimé le fait que vous soyez une auteure, romancière, mais aussi votre relation avec Léo et cette longue lettre que vous lui avez consacré, dans laquelle vous levez le voile sur votre secret enfoui au plus profond de vous-même.
"J'écris pour qu'il oublie l'euphorie de notre nuit et qu'il respire l'air vicié de mon passé : je dois le dégoûter. "

J'ai attendu avec vous ce procès, dans cette chambre d'hôtel que j'imagine très impersonnelle, sentant les cigarettes froides que vous consumez comme pour conjurer le sort et faire passer le temps, le temps de vos nuits sans sommeil. C'est alors que vous reviennent ces images, celles de cet horrible été 1984... Les sensations, les douleurs, l'abandon et la peur...
"Laisser filer et dormir d'un grand sommeil, trouver la Paix enfin."

A ce procès, vous allez y être. Même s'il ne jugera pas tous les crimes que cet ignoble personnage a commis, vous serez là, pour raconter la victime que vous avez été et êtes encore. Cette attente est comme une seconde torture parce qu'elle vous replonge dans cette nuit d'atrocités inoubliables.
"Je voulais déchirer cette lettre, la brûler, l'avaler, pour qu'elle rejoigne l'endroit où toutes les images de cette nuit de juillet 1984 avaient été si rapidement enterrées. Que ces phrases disparaissent, que Joël Domois pourrisse dans sa cellule jusqu'à la mort et qu'il emporte avec lui mon secret."

Je cesse de trop en dire pour que le plus grand nombre de lecteurs puisse faire votre connaissance. Pour ma part, j'ai été profondément touchée par cette lecture, j'ai été comme à vos côtés à chaque moment ici raconté, sans néanmoins pouvoir vous serrer fort contre moi pour vous apporter un peu de réconfort... Celui dont vous avez tant manqué mais que, j'en suis sûre, vous allez trouver. Hélène, vous êtes devenue une nouvelle amie littéraire et c'est grâce à Sylvie le Bihan que cette rencontre a pu se faire. Je la remercie infiniment pour ce cadeau que je ne suis pas prête d'oublier.
"Le temps passe et emporte avec lui les visages insouciants, il n'y a que ceux de la cruauté qui ressurgissent."

https://littelecture.wordpress.com/2020/04/24/quil-emporte-mon-secret-de-sylvie-le-bihan/
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Le lecteur ne peut ignorer le sujet du livre de Sylvie le Bihan, et d'emblée la lectrice que je suis est séduite par l'emploi du style épistolaire pour dire « ce qui n'a jamais été verbalisé ».
Ce fameux secret, cet acte subi mais qui doit rester indicible comme pour mieux l'enfouir pour l'oublier. Comme si, ce qui n'est pas prononcé pouvait finir par disparaître.
« L'oubli est une stratégie de survie, un processus sélectif et dynamique, un choix imposé d'obscurité sur une partie de sa mémoire, suivi du mensonge qui pose les bases d'une autre réalité, plus facile à digérer. J'ai passé ma vie à tout contrôler pour éviter le raz de marée, à mettre en place une histoire instinctive et chaotique, à inventer le quotidien de ma prison en créant un personnage de « survivante » qui impose silence et respect, mais aujourd'hui ça m'explose à la gueule ».
Hélène et Léo, tous deux écrivains, se rencontrent lors d'un salon littéraire à Briançon, l'une dédicace, l'autre peu ou pas. Pourquoi lui, car Hélène dit : « j'imagine que le sexe qui fait jouir doit attacher, or j'ai l'ivresse facile et rarement la gueule de bois, un goût irraisonné pour les sucreries-une sweet tooth, comme disent les Anglais-et une tendance à grossir. »
Des hommes elle en a eu mais « le désir est fugace, inattendu, surprenant dans son apparition et dans sa fuite. Chaque rencontre suscite en moi l'espoir, mais très vite un besoin vital de reconnaissance et d'affection s'impose, j'ai une peur bleue de la solitude et une tendance à survaloriser l'importance de ne pas être seule, alors je panique au moindre signe de désintérêt, et de là découle l'urgence de me sentir indispensable. »
Le ton est cash, sans fioriture et le décor est planté.
Hélène a été violée à seize ans et a été laissée pour morte. Depuis c'est une survivante qui a tout enfoui, mais au détour d'un atelier d'écriture dans une prison, son passé lui revient comme un boomerang.
Pas une fois dans ce long déroulé des évènements elle ne se victimise alors que les dégâts subis sont physiques, psychologiques et familiaux. Cela accentue le fossé qu'il y a entre elle et ses parents qui ne savent pas quoi lui dire. Devant une telle horreur de l'acte les parents en font souvent trop ou pas assez. Tellement difficile de trouver l'attitude juste elle déplore leur absence mais ne les condamne pas de ne pas avoir su faire face.
Le tour de force de l'auteur est de faire de ce « roman » intimiste une histoire sans pathos.
Tenir à distance le lecteur qui ne s'identifie pas mais ressent tout de même la fracture au plus profond de son être et qui passe par toutes les couleurs de l'émotion.
Une narration tendue comme un arc avant de décocher sa flèche qui atteindra sa cible ou pas.
Les lecteurs qui n'aimeront pas, sont ceux qui n'accepteront pas que l'auteur ne soit pas une petite chose fragile ne cherchant pas des mots ou gestes de consolation comme « tout le monde ».
©Chantal Lafon-Litteratum Amor 3 juin 2017

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Un conseil : résistez à la tentation d'une recherche Google « Sylvie le Bihan », remettez à plus tard la lecture des articles parus la semaine dernière (Libération, Paris Match, Elle…). Moins vous en saurez sur la vie de l'auteure, plus vous serez à même de vous laisser embarquer par son troisième livre. Laissez de côté le bruit médiatique, seules importent les qualités littéraires de ce nouveau roman.

Nuit d'insomnie dans une chambre d'hôtel : la narratrice, Hélène, est appelée à comparaître au procès d'un homme qu'elle a croisé deux fois. le 14 juillet 1984, à Digne-les-Bains, nuit de l'« accident » (c'est elle qui met des guillemets), et le 29 octobre 2015, dans la prison de Nantes où elle animait un atelier d'écriture. Elle est en effet romancière à succès : « Je fais le tapin en écrivant des romans d'amour sur fond de société ». Pour occuper ces heures sans sommeil, elle commence une lettre à son jeune amant, Léo, auteur lui aussi. Ils se sont rencontrés trois mois avant dans un salon littéraire. Deux narrations s'entrecroisent alors : dans sa longue lettre, Hélène revient sur leur lien, leur unique nuit, et raconte la jeune fille qu'elle fut, la femme qu'elle est devenue, et celle qu'elle aurait pu être. Elle s'interrompt pour tenir le journal des deux jours qu'elle passe à Grenoble, longue litanie des heures d'insomnie – 3 h 30 du matin, 6 h 30 du matin, 9 heures… Passé et présent se mêlent, nuit d'amour et nuit de l'« accident », dans une construction serrée qui tient le lecteur sous tension.
Sylvie le Bihan utilise avec brio les chausse-trapes du roman policier, instaurant un vrai suspense tout en livrant le portrait intime d'une femme qui a toute sa vie tenu l'amour à distance et qui se trouve brutalement rattrapée par un passé cadenassé dans une zone tampon, au fond de sa mémoire.
Qu'il emporte mon secret est aussi un roman sur le poids des mots qui n'ont pas été dits, la chape de silence posée sur une vie. Au fil de la lettre qu'elle écrit à Léo, Hélène se débarrasse de son personnage d'écrivain cynique pour faire une place à la femme « parallèle », celle qui l'accompagnait dans l'ombre pendant toutes ces années. Sa mémoire ne sera plus « un champ de bataille » et sans pathos ni apitoiement, la vérité sera mise au jour, grâce au pouvoir libérateur de la littérature.

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