AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Citations sur Un hiver en Bretagne (8)

Le silence, ce n'est pas l'absence de bruit, le blanc d'un "rien", non, le silence est peuplé de mille sons, il vit, et nous éveille, le silence, simplement, est la disparition du brouhaha, du bruit de fond, de ce qui rend chacun les êtres et les choses informes, indifférenciées...
Commenter  J’apprécie          130
D'où vient que la neige continue ainsi de nous fasciner - que dans toutes les écoles, quand tombe la neige, les enfants deviennent intenables, presque fous ? Peut-être de ce qu'elle est fuyante, insaisissable, comme venue d'outre-monde, prise dans une rêveuse dérive entre les éléments, sans jamais se réduire à l'un d'eux. Elle est de l'eau, certes, qui coule déjà entre mes doigts, et se fera torrent, rivière, au moment de la fonte, mais une eau qui danse, entre ciel et terre, dans une parenthèse du temps où l'on dirait la gravité abolie par miracle. Elle est terre, qu'elle irrigue, enrichit, et travaille. Feu aussi, qui me brûle les mains, de trop la pétrir, et feu de la cheminée que j'allumerai tout à l'heure au retour, chaleur douce de l'intimité. Et puis air, surtout, morceau de ciel et de nuage, parcelle d'air devenue visible, le temps d'un souffle. Peut-être la neige est-elle simplement ce qui circule entre les éléments et qui les lie, pour en faire une demeure - soit la définition même de l'imaginaire, dont elle serait comme la substance ? Conjonction de la lumière et du silence, et l'une des rares images de l'éternité inscrites en notre psychisme, elle renverrait en somme à notre propre lumière, et au silence qui en nous demeure - autre manière de dire que ses paroles sont celles-là mêmes de nos enchantements...
Commenter  J’apprécie          70
Tout se brouille, bientôt, sous les trombes fumantes. Un bouillonnement d'eaux grasses déborde des caniveaux, les maisons disparaissent dans un brouillard jaunâtre comme si toute la saleté de la ville montait devant moi dans le ciel, à peine voit-on à cinq pas. Je dévale la rue, vent debout, à demi étourdi par la violence des averses, vers la venelle au Beurre où je sais que m'attend le havre des âmes en peine, des traîne-savates et rêveurs de la baie, derrière les carreaux épais du Ti Coz. Une bourrasque noire hurle déjà dans mon dos, en secouant la porte, tandis que je m'engouffre hors d'haleine dans la salle enfumée, des écharpes de pluie encore accrochées aux plis de mon suroît. Les bûches, dans la cheminée, s'embrasent en gerbes d'étincelles, les flammes découpent des ombres brèves, brutales, sur les murs bas, les visages qui se lèvent à mon entrée, sculptés par la lumière rare, n'ont que peu à envier à ceux des forts mangeurs, buveurs et braillards que retrouvait le sieur Le Gac chez cette luronne de Barbe Le Breton. Ils sont tous là, mes compagnons, Antoine Pouliquen, bouquiniste, loup de mer et grand coeur, Gérard Delahaye, Melaine Favennec, d'autres musiciens que je distingue mal dans la pénombre enfumée, et la voix forte de Patrick Ewen, retour du grand Nord, qui nous emporte (...) Non, rien n'a changé au Ti Coz depuis quatre siècles, ce devait être déjà une belle taverne, aux murs épais, aux poutres trapues, (...) où se pressaient convoyeurs et corsaires, calfats et charpentiers, matelots barbus et rugissants, soudés par le même allégresse. (...) Un coup de vent brutal couche les flammes dans l'âtre et chacun dresse l'oreille, comme si venait d'entrer dans la pièce la longue cohorte des canailles de la Row.(..) Patrick prend le temps de tirer sur sa pipe, sûr de ses effets. L'odeur des épices et du vin chaud chasse les derniers lambeaux de nuit entrés dans la salle avec moi, et il me semble en cet instant que l'univers entier se trouve là blotti, autour du feu qui brûle, tandis que la grande nuit du monde, au-dehors, danse la sarabande.
Commenter  J’apprécie          60
Une très vieille légende prétend que lorsque les Gaëls envahirent l'Irlande, le peuple féérique des Tuatha de Danaan déplaça simplement son royaume : du visible, il glissa dans l'invisible. Voilà bien des semaines que je repense à cette légende, tandis que j'essaie de comprendre ce qui me ramène à ce coin de rivage, de ressaisir un peu de l'esprit, de l'âme de cette baie, de ce qui pour moi, en fait vraiment un lieu. Car c'est ce royaume qui revient sous ma plume, quoi que je fasse, c'est cet ailleurs qu'à chaque fois je découvre ou pressens, disant ce qui m'attache à cet ici, à croire décidément qu'un ici n'est un lieu que s'il est une porte ...
" Du vent ", diront les esprits forts qui, comme chacun sait, ne manquent pas. Du vent, oui, précisément.
(...)
Du vent. Autant dire rien : invisible, il n'a ni forme, ni dimension, ni odeur, ni goût qui puissent lui être attribués en propre. (...) Et pourtant, sans lui, il n'y aurait sur terre aucune vie, l'humidité stagnerait sur les océans, les terres vers les Tropiques seraient des déserts de feu, et partout ailleurs gèleraient, il n'y aurait pas d'érosion, et donc pas de terre, pas de culture. S'interromprait-il qu'il n'y aurait pas de pollinisation, les arbres puis la terre deviendraient stériles : il est la vie, la semence, la force à l'oeuvre de la création (...).
Presque rien, et pourtant essentiel (...) Spiritus en latin désignait la respiration des dieux, liant dans un même mot le souffle de l'esprit et celui des vents ; ruah en hébreu comme ruh en arabe confondent en un même mot le vent et l'esprit ; le grec pneuma, le latin animus, expriment tout à la fois le souffle de l'air et la chair de l'âme. Et vents peuvent être dits nos musiques, nos paroles, les histoires colportées de village en village qui tissaient notre mémoire et notre imaginaire ...
Un lieu, en somme, ne serait que du vent. Autrement dit une âme ...
Commenter  J’apprécie          40
Avril était une ivresse d’odeurs fraîches au pli secret des chemins creux
Commenter  J’apprécie          40
Pourquoi, dans le fond, partons-nous ? Pour voir ce que nous ne savons plus regarder. Pour une fraîcheur nouvelle, et triompher, ne serait-ce qu'une minute, une seconde, de l'ordinaire des jours, de l'usure des choses, du poids des habitudes, de tout ce qui, jour après jour, efface le monde autour de nous, nous rend indifférents.
Commenter  J’apprécie          40
Le monde est parcouru de lignes de chant, soutiennent les aborigènes australiens, que chacun doit parcourir et reparcourir sans-cesse, et sous ses pas, en écho à son chant, chaque chose nommée, oiseau, plante, roche, alors s'éveillera — mais que les hommes un jour s'arrêtent de chanter, et le monde à coup sûr cessera d'exister ... Qu'ai-je fait d'autre, que tenter de suivre ici ma ligne de chant ? En songeant à chaque pas, tentant de dire ce lieu, que toute musique, tout chant est aussi un appel, une manière de rendre plus proches les lointains, de tenter, le temps d'un souffle, d'une mélodie, de faire coïncider l'ici-bas et ailleurs qui lui donnent vie.
Rien que le bruit du vent, dans la baie de Morlaix.
Toute la beauté du monde.
Commenter  J’apprécie          20
J'ai laissé mon petit Nostromo s'échouer dans une crique, derrière l'île Stérec. Karo, l'île Blanche, le château du Taureau sont comme à portée de main, et, derrière la tourelle de la Chambre, entre île de Sable et île aux Dames, la prairie de sargasses où j'ai fait cet été quelques unes de mes plus belles pêches de bouquets. L'eau se retire doucenement, en chuintant contre la coque. Les dernières grappes de fucus, les laminaires, les zoostères vert sombre émergent des profondeurs en frissonnant. Une odeur lourde, presque séminale, d'iode et de goémon brassé, m'enveloppe peu à peu, malgré le froid – sous cette profusion végétale déployée devant moi en forêts, en prairies, en taillis hérissés, grouille, invisible, une vie formidable. Ce coin de la baie de Morlaix est d'abord un ventre, pour des milliers d'espèces, le coin des naissances et des métamorphoses. Cette eau, si claire tout à l'heure sur le sable, voilà qu'elle prend dans l'effervescence végétale des airs de soupe nourricière. Et rien, rien autour de moi, que l'espace grand ouvert, la mer, au ras du ciel immense ...
Commenter  J’apprécie          20




    Lecteurs (94) Voir plus



    Quiz Voir plus

    Retrouvez le bon adjectif dans le titre - (2 - littérature francophone )

    Françoise Sagan : "Le miroir ***"

    brisé
    fendu
    égaré
    perdu

    20 questions
    3671 lecteurs ont répondu
    Thèmes : littérature , littérature française , littérature francophoneCréer un quiz sur ce livre

    {* *}