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Critique de frmwa


J'ai toujours beaucoup aimé John le Carré et je suis prêt à lui vouer allégeance jusqu'au bout d'une vie et d'une oeuvre déjà longue, mais voici que son dernier opus force mon admiration au-delà de cette fidélité. Quel tour de force ! Grâce à un scénario rusé qui pourrait faire pendant, côté espionnage à Agatha Christie, côté policier, en remettant habilement en scène l'ennemi le plus efficace en matière d'espionnage, à savoir les Russes, qui même post-URSS, conservent, qui en douterait, un fort potentiel de nuisance, John le Carré réussit le tour de force d'adapter tout ce qui fait sa marque de fabrique – une action lente, mais dont chaque segment a été mûrement mis en place en vue du résultat final ¬– à l'environnement géopolitique moderne, Brexit en tête. On admirera la mise à jour aux normes modernes du contrôle d'une scène entièrement pipée par les services de sécurité, en l'occurrence un jardin public avec remplacement du personnel de la cafétéria par celui du Service, où l'on peut suivre tout ce qu'il se passe depuis deux écrans de la salle de contrôle. Pour autant, des techniques classiques, dignes du protocole de Moscou, perdurent, comme la copie de documents "à la vapeur" pour éviter l'électronique laissant trop de trace. John le Carré reprend l'idée de la prise de contact par le sport – le tennis dans « Un traître à notre goût », ici le badminton dont les adaptes sont appelés « badistes » ai-je utilement appris ! Il en profite pour en remettre une couche contre les grandes sociétés pharmaceutiques, même si ce n'est pas le coeur de l'intrigue, comme dans « la Constance du jardinier », l'épouse du personnage principal étant une avocate très engagée à gauche et notamment contre ce genre de multinationales. le narrateur déroule l'histoire, en décrivant des faits apparemment banals mais qui sous sa plume et au vu de ce qui a suivi sont porteurs d'énormes conséquences, moyen efficace pour entretenir le suspense : on croit avoir un temps d'avance mais au final, on n'en sait pas beaucoup plus si ce n'est qu'un évènement majeur s'est produit ! le couple que forment Nat et Prue est solide, mais après avoir partagé le monde de l'espionnage du temps de leur jeunesse, Nat reste le seul espion et Prue reprend sa carrière d'avocate. Steph, leur fille, en adolescente hyperactive et hyperconsciente des enjeux de l'époque fait tanguer l'équilibre précaire qui résulte de la nécessité du mensonge. D'où des dialogues assez rigolos où Nat s'apprêtant à révéler une partie de la vérité concernant sa profession à Steph se voit répondre : « Tu vas me dire que je suis une enfant illégitime ? » S'ensuit un interrogatoire impitoyable portant sur la valeur éthique du travail de retournement des agents doubles. Au final, le réalisme n'est pas tant dans les situations, que dans le choix final qui s'impose à Nat qui vaut comme une profession de foi. On retrouve finalement cet espace de liberté qu'avaient essayé de créer les deux personnages de « Un pur espion » - oasis précaire - au milieu de la guerre froide. Ici, dans le chaos et la déliquescence générale, John le Carré fait de même en resserrant les boulons autour de la dimension humaine, qui prend corps dans l'amitié, l'amour, la famille – en opposition à la raison d'état, quel qu'il soit et à plus forte raison dans les mains de personnages veules et incapables. Et l'on sent à le lire que ce sont des valeurs dont il a lui-même eu le temps de priser la valeur.
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