Citations sur Alma (32)
À côté de moi, elle parle bas : « c'est bizarre l'impression qu'on a devant une espèce en danger d'extinction.» Elle souffle un peu. « C'est une impression vraiment bizarre, tu ne trouves pas ? Quand tu penses que cet être vivant que tu as devant les yeux est l'aboutissement d'une longue histoire, et que cette histoire pourrait se terminer là, maintenant, demain, et que plus jamais elle n'existera sur la terre, et toi tu n'as rien fait pour la retenir… »
Papa, Maman, vous aimez bien la pluie aussi, quand on est mort on aime la pluie parce que ça ressemble aux larmes. Quand je suis petit je ne sais pas dire « il pleut », je dis : « il pleure ».
Un jour mon âme va partir par un trou de ma tête, pour aller au ciel où sont les étoiles.
Je me couche à côté de la tombe, je mets ma veste sur ma figure pour que personne ne me voie, pour que la pluie ne coule pas dans ma bouche. Maintenant, tout est différent, tout est changé, aujourd'hui ce soir je vais à Paris.
Moi je ne veux pas pleurnicher, ça sert à quoi de pleurer ? Ils prennent le piano à la maison, mais je garde les notes dans ma tête, et quand je veux, je les fais voler. Sous le manguier, la petite fille mongolienne vient écouter, les notes l'attirent en volant dans les airs, les notes sont de toutes les couleurs, elles ont le goût des bonbons et du miel, mais aussi par moment le goût de la pluie et du vent des cyclones, pour elles je chantonne la musique, même si elle ne comprend pas je crois qu'elle les sent, pas avec des mots, avec des sons, juste à l'arrière de la bouche, les dents serrées, hm-hm, lan lan, hm-hm, les Romances sans paroles de Mendelssohn, ça c'est bien puisqu'elle ne peut pas comprendre les paroles.
Moi j'aime la pluie au cimetière St Jean. Papa, Maman, vous aimez bien la pluie aussi, quand on est mort on aime la pluie parce que ça ressemble aux larmes. Quand je suis petit je ne sais pas dire "il pleut", je dis : "il pleure".
Mon père était émigré, on dit maintenant, de la « diaspora » — c’est un mot que je ne lui ai jamais entendu dire, pas plus que le mot « exil ». Il n’en parlait pas, même s’il était imprégné de la plus profonde nostalgie pour son pays natal. Ses regrets, il ne les disait pas avec des mots. Il les extériorisait par ses gestes, par ses manies, par ses fétiches.
Elle est grosse, elle a du mal à bouger, ses jambes sont enflées, ses pieds ont de petites coupures qui ne guérissent pas, où se collent les moucherons. J’aime bien toucher ses vieux seins, ils me donnent du lait lorsque je vais mourir, parce que Maman n’a pas de lait, je touche ses seins et je dis : Celui-ci est à moi, celui-là aussi. Et ça la fait rire. Elle donne une tape sur mes mains en grognant, mais ça l’amuse.
Ne faut pas faire attention, laisse passer. C’est des méchants, des jaloux. Si tu insultes, c’est sur toi-même que tu craches. Laisse-les, ignore-les. Efface-les. Facile à faire, juste ferme les yeux, ferme la bouche, ils s’effacent dans le noir. Des taches, pas besoin de savon, pas besoin de frotter, ils s’effacent, pas besoin d’eau. Juste ferme les paupières, garde-les bien serrées, appuie les poings sur tes paupières et pousse, les boules s’enfoncent, ça fait des étincelles.
Ils sont en moi depuis l’enfance