Citations sur L'Homme aux lèvres de saphir (55)
Ils descendent une volée de quatre marches et poussent une lourde porte de bois armée de gros clous noirs. Chaleur, fumée, vacarme, ils sont un instant arrêtés par cette purée compacte dans quoi s'arsouillent, s'agitent, bondissent, s'enlacent, se frottent, se culbutent derrière les tables deux ou trois cents furieux. Ca chante et ça gueule, ça s'engueule et ça s'enchante. Sourires, grimaces, gorges déployées, mains tendues, poings dressés. On saute, on tournoie, on dérape, on se rattrape au bras d'un inconnu, on s'accroche à un cou de hasard, on louche sur un corsage qui passe. Trois violons, deux trompettes, un tuba, une grosse caisse. Et un boucan grinçant, strident, fiévreux, trépidant. Un cul de jatte retrouverait ses jambes de jeune homme pour se faire une polka.
Il sent bien, à force, que c'est toujours sur les mêmes que s'acharne le mauvais sort, et qu'ils ont le dos bien large et bien pratique pour qu'on leur tombe dessus et que pionce en paix le bourgeois. Il se doute un peu, lui le flicard intègre, obscur gardien de l'ordre, qu'à faire vivre des hommes comme des chiens, ronfler dans des taudis grouillants de puces et de punaises, s'échiner aux usines douze heures par jour, leurs petits jetés dans la fureur des ateliers dès qu'ils se mouchent tout seuls, on ne saurait attendre d'eux des civilités de salon, ou des colères contenues dans le cristal de la politesse, ce bibelot délicat qu'on s'échange entre gens bien.
Et c'est même à ça qu'on reconnaît un ouvrier : c'est quelqu'un qui parle haut et fort, sans manière, parce qu'il transporte toujours avec lui dans sa tête étourdie le vacarme de sa condition.
Après tout, que la police de l'empereur, qui s'y connait si bien en mouchardages et surveillances de tout ce qui pense de travers, fasse pour une fois son travail. L'idée d'avoir affaire à la Rousse lui remue plus sûrement l'estomac que le vilain macchabée qui attend qu'on le décroche…
Il se doute un peu, lui le flicard intègre, obscur gardien de l’ordre, qu’à faire vivre des hommes comme des chiens, ronfler dans des taudis grouillants de puces et de
punaises, s’échiner aux usines douze heures par jour, leurs petits jetés dans la fureur des ateliers dès qu’ils se mouchent tout seuls, on ne saurait attendre d’eux des civilités de salon, ou des colères contenues dans le cristal
de la politesse, ce bibelot délicat qu’on s’échange entre gens bien.
« Monsieur est increvable, monsieur va finir par me mettre le feu aux intérieurs ! Doucement tout de même, on n’est pas dans les haras de l’empereur ! »
On dirait que la fatigue, cette chienne que les patrons leur lâchent aux basques après les heures de travail pour surveiller qu'ils ne feront rien d'autre que reconstituer leurs forces pour le lendemain, est assise à leurs pieds et gronde en montrant les crocs dès qu'ils essaient de bouger.
Personne, d'ailleurs, ne remarque cet homme défiguré qui hausse les épaules avant d'aller, d'un pas lent, l'air pensif, se perdre dans la foule grelottante du boulevard.
Ce qu'a pressenti le comte , c'est la necessité intrinsèque de Maldoror , cette éblouissante noirceur hérissée de lames et de crocs. Mais ce qu'il n'a pas envisagé , c'est que le Mal console par ses ignominies mêmes tous ceux qui se croient du côté du Bien.
Le mal n’est pas dans la littérature, il est au monde, dans les replis de la vie, au profond des cervelles ! L’écrire, le singer, c’est de l’épate-bourgeois ! Au feu l’imposture ! La littérature est l’art du vrai, de la vertu, de la tempérance !