La publication de ce livre est essentielle, à l'heure où de plus en plus de personnes ont des difficultés pour subsister au quotidien, dans des habitats décents, en se nourrissant suffisamment, et où le gouvernement envisage de demander une contrepartie à la perception du RSA?
On comprend en lisant ce récit du parcours de l'autrice et des actions d'
ATD Quart Monde, que les mesures prises pour lutter contre la pauvreté et l'exclusion sont vouées à l'échec si elles ne sont pas élaborées avec ceux et celles qui sont concernées, les plus pauvres.
Comme le dit
Claire Hédon – actuellement défenseure des droits et présidente d'
ATD Quart Monde de 2015 à 2020 – dans sa préface : comment quelqu'un qui ne le vit pas peut-il savoir ce que c'est que de vivre avec le RSA ? ou ce que c'est de s'entendre dire dans une salle d'attente que le médecin ne reçoit pas de personnes relevant de la CMU (couverture maladie universelle) ?
Martine le Corre, dans ce récit à la fois aisé à lire et profondément émouvant et questionnant montre comment la rencontre avec le père
Joseph Wresinski a permis que la volonté de se battre pour et avec les siens l'a emporté sur le découragement devant les difficultés extrêmes.
Ce chemin d'engagement l'a conduite a des responsabilités toujours plus larges, y compris au niveau international, dans "le Mouvement ».
Et nous qui découvrons son combat pour la dignité, sommes mis en mouvement aussi, tant chaque page montre comment, même à notre insu, nous sommes pris dans des « idées reçues »*
Un des moyens de réflexion et d'action d'ATD est l'animation d'universités populaires.
Les « recherches-actions » donnent lieu à des publications**.
« Pour que la qualité de cette action ne se perde pas, il nous faut régulièrement vérifier avec qui nous sommes dans nos Universités populaires. Les plus pauvres sont-ils là ? Restons-nous un groupe ouvert à d'autres très pauvres ? Les militants restent-ils majoritaires dans ces temps ? » Un exemple montre l'importance de ce travail et la manière de le mener : il aura fallu à cet homme qui a préparé l'université populaire durant des années, cinq ans pour prendre la parole : un temps nécessaire que
Martine le Corre n'a pas cherché à précipiter. "J'ai réussi parce qu'on ne m'a pas forcé" dit-il.
Ce respect des singularités du chemin de chacun ne va pas sans interventions parfois un peu "rudes" : rappel des règles, des valeurs, de ce pourquoi on est là.
Martine le Corre raconte comment, à plusieurs reprises, elle a été bousculée, remise en question, en "mouvement", par
Joseph Wresinski et aussi comment elle-même a, par exemple, rappelé les règles du jeu à une jeune qui venait pour la première fois à l'UP. Dans tous les cas avec succès car il ne s'agit nullement de jugements, de propos qui pourraient être ressentis comme humiliants, mais d'un appel au potentiel de la personne, à sa dignité.
C'est cela le coeur du combat : que chacun-e se sente digne et soit traité-e comme un être digne.
La manière dont on considère les plus pauvres est un « baromètre » de l'état des droits humains dans une société. « Nous n'avons jamais vécu en démocratie dès le moment où nous laissons vivre à côté de nous des hommes détruits par la très grande pauvreté », déclarait
Michel Serres. Des femmes et des hommes, dirions-nous aujourd'hui, mais sa déclaration est plus vraie que jamais.
Le seul chemin pour éviter cette destruction, c'est la sortie de l'isolement, la force trouvée d'être écouté, respecté dans sa dignité, de « participer pour construire un monde plus juste ».
Vous l'aurez compris, ce combat n'est autre qu'un combat pour que soit prise pleinement en compte la Déclaration universelle des droits de l'homme. Si le fondateur était un prêtre, les valeurs qui soutiennent son action peuvent être partagées par tous ceux et toutes celles qui considèrent que
"Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont
doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un
esprit de fraternité" article 1 de la DUDH.
« Les miens sont ma force ».
Lisez ce récit, vous en sortirez changé-es, même si vous avez déjà un peu réfléchi à ces questions, même si vous connaissez un peu
ATD Quart Monde.
* Les éditions
ATD Quart Monde ont publié en 2013 En finir avec les idées fausses sur les pauvres et la pauvreté.
** Par exemple,
le croisement des savoirs et des pratiques. Quand des personnes en situation de pauvreté, des universitaires et des professionnels pensent et se forment ensemble. Éditions Quart monde, éditions de l'Atelier 2009
Entretien avec
Martine le Corre :
https://www.atd-quartmonde.org/lancement-du-livre-de-martine-le-corre-les-miens-sont-ma-force/