Même éloquence, même fierté de diriger une maison de redressement. En revanche je le trouve moins sympathique si tant est qu’on puisse ainsi qualifier un directeur de prison. L’homme est grand, la quarantaine, maigre, efféminé. Il cache son regard derrière de grosses lunettes de myope. Son visage étroit avec un nez imposant, un menton fuyant, des lèvres minces est inquiétant. Un semblant de moustache doit vouloir atténuer le côté disproportionné de son appendice nasal. Un détail me surprend, il est habillé avec recherche. Il porte une pochette assortie à sa cravate et arbore au poignet gauche une volumineuse Rolex en or, pas d’alliance. Son speech terminé il me confie au chef des matons resté silencieux derrière moi. Ce dernier, la trentaine, est un géant, bâti en hercule. Coiffé en brosse, le visage peu amène, il caricature parfaitement l’idée que l’on se fait d’un chef maton. Il en rajoute, jouant en permanence avec une matraque en caoutchouc comme le fait l’enfant avec son yoyo. Ses yeux clairs, très pâles, me mettent mal à l’aise.Ce que j’ai retenu de son long monologue, primo le système carcéral de l’État n’est pas enchanté de me prendre de myope.
Comment surmonter l’ennui, le désoeuvrement, l’inutilité soudaine de sa nouvelle vie ? Devant l’écran noir de son nouveau téléviseur à écran plat – rarement ouvert –, il repense à sa dernière affaire, et, c’est plus fort que lui, un nom lui revient en permanence à l’esprit. Vous avez deviné… Astrid. Oui ! Astrid ! Il sent qu’il doit s’accrocher à ce nom comme s’accroche au rocher le naufragé en perdition. Pour le « Fun » comme disent les jeunes, il va devenir son protecteur sans l’importuner en aucune manière. À distance il sera son chevalier servant. Oui, voilà une occupation à temps plein et pourquoi ne pas continuer l’enquête comme si rien n’était réglé ? En profiter pour découvrir et l’Islande et l’Amérique !
La position assise est un supplice. Chaque jour on me badigeonne l’arrière-train comme on le fait aux nourrissons. Je soupçonne les infirmières de prendre un certain plaisir à me faire gémir en poursuivant les soins. Plus pénible encore, mon anus artificiel fonctionne trop bien et je me retrouve régulièrement inondé par mes excréments quand la poche plastique se décolle durant mon sommeil, souvent agité. Il faut que je m’y fasse, mon chirurgien n’envisage pas de la supprimer, la poche, avant deux mois.
Nous chavirons dans une lutte amoureuse où tous les coups sont permis pour satisfaire ce pressant besoin que réclament nos corps assoiffés de plaisir après tant d’années de solitude. Nous nous mordons, léchons, pleurons, séchons nos larmes, larmes de joie, savourant cette étonnante bacchanale. Nos deux corps se découvrent, l’un à l’épiderme satiné, cuivré, aux hanches pleines mais fermes, encore juvéniles, l’autre à la peau sèche presque râpeuse, à la poitrine velue, aux cuisses fines mais musclées.
Je n’avais qu’une pensée… Astrid. Que pense-t-elle, que fait-elle, que va-t-elle devenir ? Par mon comportement, je l’ai détruite. J’ai gâché sa vie. Je la laisse seule avec un enfant à venir, le mien… mon premier, le seul sans doute, que je ne verrai jamais. Je ne mérite aucune indulgence. Qui croira que je puisse l’aimer, comme je n’ai jamais aimé ma première femme. Je suis un triple salaud. J’ai réussi à m’assoupir deux heures.
Philippe Le Douarec est l'invité de Philippe Goudé dans l'émission C'est à lire de France 3 Normandie.