Armorican Psycho

Rien ne justifiait la fin qui leur avait été destinée ni la souffrance que ces familles avaient endurée pendant tant d’années.
Il savait que le temps de la rédemption était venu, et que les innocents deviendraient bientôt les coupables. Alors, elles seraient enfin délivrées, et peu importerait le prix à payer.
La vérité allait être mise au jour, et ne pourrait plus – non, plus jamais – être oubliée.

Les chrysanthèmes fraîchement coupés, d’un violet vif, juraient presque avec l’ornementation désespérément pauvre du carré, en cette veille de Toussaint.
Chaque année, alors que l’automne glissait doucement vers l’hiver, il venait ici, dans le cimetière de Saint-Martin, que d’aucuns appelaient encore le cimetière de Brest, accomplissant ainsi son pèlerinage annuel. À sa façon, il honorait leur mémoire, ou du moins, ce qu’il en restait. C’était une manière aussi de se faire pardonner pour tous ses crimes.

La brume matinale semblait ne jamais devoir se dégager des blocs de kersanton, de granit et de marbre, conférant à l’endroit une atmosphère mystique.
Les croix brisées et les flambeaux renversés étaient figés dans le temps.
Quelques hauts édifices, remontant pour certains au XVIIIe siècle, parvenaient à émerger, régnant telles des vigies éternelles.

La vue sur la Penfeld était la meilleure depuis ce point d'observation. Et elle se rapprochait grandement de celle de la photo. Yoran l'attrapa dans son sac. Alors qu'ils entamaient leur course vers la tour de Brest, Yoran s'arrêta au sommet d'une tour qu'ils manquèrent de franchir dans la précipitation. La tour Azénor. Celle-ci tenait son nom de la fille d'un ancien seigneur de Brest, princesse de son état, injustement accusée d'adultère et réputée avoir voyagé dans un tonneau entre la Bretagne et l'Irlande, jetée à la mer par les siens.

Malgré ses douves, le château de Brest n'avait jamais été entouré d'eau. Connu au Moyen-Age comme la forteresse la plus imprenable de son temps, le site constituait aujourd'hui la plus ancienne place militaire en activité dans le monde.

Il était seul sur le pont de Recouvrance.
Sur sa gauche il constata sans surprise que le téléphérique reliant les deux rives de la Penfeld, prévu pour résister à des pointes de vent de cent vingt kilomètres par heure, était toujours immobilisé pour une durée indéterminée.
Au-dessus de lui, les pylônes étaient partiellement cachés par les nuées de brume, tandis que la rade de Brest semblait plus déserte que jamais.

- Certains chemins de vie sont faits de souffrance. C'est inévitablement douloureux, mais bien souvent nécessaire. Et l'on ne s'en rend compte que bien plus tard...
- Que voulez vous dire ?
- Nous portons tous en nous des sentiments. Ces sentiments sont notre force, mais ils peuvent également devenir vecteurs de tristesse. C'est ainsi qu'ils donnent un sens à nos vies.

Le pont de Recouvrance revêtait une importance toute particulière pour les habitants. Chaque Brestois avait une histoire à raconter à propos du quartier de Recouvrance, dont le pont constituait le lien privilégié avec le centre ville. D'un côté la tour Tanguy et le jardin des Explorateurs, de l'autre, le château de Brest, régnant sur la cité du haut de ses dix-sept siècles et l'Arbre empathique d'Enric Ruiz Geli et ses sept plantes. L'alliance, si brestoise, entre passé regretté et avenir espéré.