Citations sur Le Dit d'Aka (suivi de) Le nom du monde est forêt (31)
G.Klein :
Le Dit d'Aka vient enrichir ce cycle. II précise la pensée de l'auteur et on pourrait le qualifier de porteur d'enseignements si le concept d'enseignement n'était contraire à la philosophie de Le Guin qui ne considère que l'expérience, le partage d'expériences. Au risque de la trahir en la résumant abusivement, je suggérerai
que le sujet de La Main gauche de la nuit était la diférence, I'Autre, celui des Dépossédés, le vivre ensemble, la société, celui de Le nom du monde est
forêt, le mythe hors la religion ou la métaphysique. Autant d'aperçus, à travers des civilisations différentes, sur la diversité du phénomène humain. Le Dit d'Aka – le Dit d'Ursula – aborde la culture et plus précisément la littérature, là où elle tisse l'humanité au point que tous les réformateurs ambitionnent de l'éradiquer afin d'écrire leur rêve artificiel sur une cire vierge.
Le Système akien est une discipline spirituelle, aux objectifs spirituels, mais les objectifs qu’elle cherche à atteindre dans le domaine du bien-être corporel et éthique sont les mêmes. L’action juste est sa propre fin. Le dharma sans le karma.
Mais la nuit reste la même, quel que soit le monde.
Haines et passions gelées, les gens se pressaient, sans se soucier les uns des autres. Elle aimait le Nord, le froid, la pluie, cette belle ville lugubre.
(Une bibliothèque clandestine, préservée dans des grottes et les montagnes des atteintes des barbares).
A deux ou trois reprises, elle alluma des lampes accrochées aux murs afin d'éclairer les cavernes de l'existence, les pièces sphériques pleines de mots, où le Dit reposait, caché, dans le silence. Sous la roche, sous la neige.
Des livres, par milliers, à la reliure de cuir, de tissu, de bois ou de papier, liasses dans des coffrets peints, sculptés, marquetés, fragments anciens enluminés, parchemins dans des tubes, des boîtes, ou attachés par des rubans, livres sur vélin, sur parchemin, sur papier chiffon, sur mauvais papier, manuscrits, imprimés, livres par terre, dans des boîtes, dans des caisses, sur des rayonnages bancals en bois récupéré sur les caisses. Dans une salle, ils s'alignaient sur deux étagères, creusées dans la paroi sur toute la circonférence, à hauteur de taille et d'yeux. Un labeur de longue haleine, dit Ikak, accompli par les maz (savants) qui vivaient ici quand il s'agissait d'un petit umyazu (école) dont la bibliothèque tenait dans cette pièce. Ils avaient le temps et les moyens de travailler ainsi. A présent, on se contentait de poser des bâches en plastique pour protéger les livres de la saleté et de la roche nue, de les empiler ou de les ranger le mieux possible, de les trier tant bien que mal et, surtout, de les tenir cachés, en sûreté. De les protéger, de les conserver et, quand on en avait le temps, de les consulter.
Mais une vie n'aurait pas suffi à lire ne serait-ce qu'un fragment de ce qu'il y avait ici, ce labyrinthe de mots, cette histoire immense, éclatée, interrompue, d'un peuple et d'un monde à travers siècles et millénaires.
Odiédine s'assit dans une de ces grottes silencieuses, mal éclairées, où des rangées de livres partaient de l'entrée, tels de sombres sillons d'herbe coupée, et disparaissaient dans l'obscurité. Il s'assit à même le sol entre ces deux rangées, prit un petit livre à la couverture en tissu usée, et le posa sur ses genoux. Des larmes roulaient sur ses joues.
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Elle était dehors. Cela avait quelque chose d'effrayant quand elle y reflechissait, mais elle n'y reflechissait guère, tant c'était agréable de s'intégrer ainsi : une voyageuse ordinaire parmi des voyageurs ordinaires, une personne comme on en côtoie tous les jours. Ni explication ni prétexte à fournir, car ils ne lui posaient pas de questions.
Peut-être la plupart des civilisations ne paraissent-elles brillantes que vues dans leurs grandes lignes et d'une distance de plusieurs années-lumière.
Le jaune du cuivre, le jaune du curcuma et du riz au safran, l'orange du souci, la teinte orangée de la poussière en suspension au-dessus des champs à la tombée du jour, le rouge du henné , le rouge de la passiflore, le rouge du sang séché, le rouge de la boue : telles étaient les nuances de la lumière du soleil durant la journée.
- Je vous prie de m'excuser pour la façon dont je vous ai traité, dit-elle après un long silence. Je n'ai pas aimé vos manière sur le bateau, ni à Okzat Ozkat. J'en suis venue à vous haïr quand je vous ai cru coupable de la destruction de l'herbier de Maz Sotyu Ang, de l'oeuvre de sa vie, et de sa vie. Détesté d"avoir traqué mes amis. Et de m'avoir traquée, moi. Je hais vos convictions fanatiques. Mais je vais essayer de ne plus vous haïr, vous.
- Pourquoi ?
Il avait repris la voix glaciale qu'elle lui connaissait.
Elle cita un passage bien connu du dit :
- "La haine blesse qui la ressent."