La parole poétique, donnée à entendre, peut faire jaillir des « énergies inouïes » en s'incarnant.
Yvon le Men parle de son engagement en poésie avec un interlocuteur attentif qui pose de bonnes questions et laisse le poète y délier sa pensée dans une langue simple, directe, sans fioriture mais propre à rendre compte sans détour d'un cheminement complexe.
Yvon le Men a eu la chance d'être ami avec
Jean-Luc Steinmetz, lecteur éclairé et critique subtil de
Rimbaud. Jeune homme, il a aussi pu fraterniser avec trois grands poètes contemporains,
Jean Malrieu : « le bruit court qu'on peut être heureux »,
Xavier Grall : « Seigneur, me voici, c'est moi… » et
Eugène Guillevic : « un bouddha malin qui rusait avec la
vie pour la supporter » puis plus tard
Claude Vigée [«
Vie j'ai »] : « mourir sur la pointe des pieds, en dansant sur l'abîme ». On pourrait trouver pire parrainage.
Yvon le Men parle de son enfance bretonne pauvre et heureuse, un père cantonnier auxiliaire, une mère couturière, de la mort brutale et prématurée de son père à l'âge de 42 ans, de son entrée en
poésie sans filet avec le désir d'en vivre : « J'ai eu peur… Pas de salaire, pas d'études, la
poésie seulement ». « La liberté n'est pas facile, il faut une grande discipline, j'ai mis des années avant d'équilibrer ces deux éléments-là ensemble ». A mesure, l'entretien gagne en densité et en profondeur tout en restant limpide, compréhensible, immédiatement et après-coup comme un vin charpenté délivrant des arômes subtils pendant et après sa dégustation. le poète y déroule sa
vie, sans fard, sans forfanterie mais avec un éclat incomparable, celui d'un homme, frère humain qui après nous vivra, par la parole continuée de
poèmes et de proses dans la lignée des anciens, pour ceux à venir : « Tout poète s'inscrit sur un chemin, dans une constellation. Ce chemin commence dans la nuit des temps depuis
Gilgamesh, Job et va jusqu'à demain, jusqu'au poème qui n'est pas encore né ».