Elle était devenue un objet. Un objet. Un objet posé là. Dont on pouvait user. Un objet, du reste, sans grande réalité. Jeanne ouvrit à nouveau le frigo, elle aurait bien bu encore un peu de jus d’orange, mais la bouteille était quasiment vide.
Il avait commencé par glisser son affreux. Dans sa bouche. Et puis dans. La petite fille ne s’était pas débattue. Elle n’avait pas pleuré. Non. La terreur l’avait immédiatement plongée dans la sidération. Encore. Déjà. Elle s’était retrouvée dans l’incapacité d’agir, de réagir.
Pardonner. Oui. Et elle, elle allait faire ce qu’il lui avait demandé. Il avait raison. Comme toujours. Gabriel avait raison. Oui. La pilule, en vérité, elle ne l’avait pas oubliée. Non. Elle en avait assez de se gaver d’hormones depuis toutes ces années. Mal aux seins, mal au ventre. Pendant plusieurs semaines, elle ne l’avait pas prise, la pilule. C’était vrai. Il avait deviné.
"Si tu ne fais pas ce que je te dis, je te briserai. Tu m’entends, ordure, je te briserai. Plus jamais tu ne travailleras. C’est moi qui t’ai faite et c’est moi qui te déferai. Que tu aies ton prix à la con ou non, tu ne travailleras plus jamais. Tu m’entends bien ? Je te briserai. Tu sais qui je suis ? "
La décharge d’adrénaline avait giclé en elle au mot connasse et inondait maintenant tout son corps en y déversant son cortège d’injonctions paradoxales : son cœur désormais explosait, ses jambes tremblaient, une ancestrale mécanique chimique lui intimait, lui hurlait de fuir devant le danger en même temps qu’une peur plus sourde, plus animale, plus primaire encore la sidérait.
Elle jeta à l’homme qu’elle avait épousé un regard vide. Il secoua négativement la tête. L’oscillation exprimait à la fois le mépris le plus absolu et la promesse d’une correction physique qui, maintenant, ne tarderait plus. Jeanne le savait.
Gabriel était sa boussole. Son tuteur. Elle, la plante qui avait si mal poussé.
Il l'avait redressée et il la tenait debout. Même lorsqu'il la jetait à terre, il la tenait debout.
Gabriel la protégeait de sa toute-puissance. Il la broyait de sa toute-puissance.