Le Silence

Elle se voit avec ses cheveux aplatis, dégoulinant sur sa tête comme des spaghettis figés dans la graisse. Elle sent la moindre tache sur sa peau.

Vous avez élevé une enfant qui pensait que haïr des gens parce que Dieu leur a donné une couleur de peau différente était quelque chose de normal. Vous avez autorisé cette haine. Vous l'avez probablement engendrée. Et votre gamine et ses amis racistes tels que vous, ont été lâchés dans le monde pareils à des putains de grenades bourrées de haine et de stupidité...

Chacune soutient le regard de l'autre et le temps s'écoule, et les filles qu'elles ont été autrefois pourraient peut-être, mais peut-être seulement, devenir les anges posés sur l'épaule de celles qu'elles sont aujourd'hui

Mais il doit aussi affronter ce qu’il a compris intellectuellement à l’instant où il a pris son fils dans ses bras pour la première fois, à la maternité de l’hôpital St Margaret, et qu’il n’autorise à pénétrer dans son cœur que maintenant. Non pas parce qu’il en a décidé ainsi, mais parce que ce plâtre ne lui laisse pas le choix.
Je ne peux pas te protéger.
Je peux faire ce que je peux, t’enseigner tout ce que je sais. Mais si je ne suis pas là quand le monde sort ses griffes – et même si je suis là – rien ne garantit que je puisse l’en empêcher.
Je peux t’aimer, je peux t’aider, mais je ne peux pas te mettre à l’abri de tout.
Et ça me fiche une trouille bleue. Chaque jour, chaque instant, à chaque respiration.

Elle reste assise là, subitement submergée par une nouvelle détestation de soi. Sa fille est morte, Auggie Williamson est mort, la vie de plusieurs jeunes qui étaient sur le quai cette nuit-là est brisée, et son esprit s’accroche encore avec un désespoir sordide à toutes les façons possibles de se sentir supérieur à eux.
Se sentir supérieure à quelqu’un. N’importe qui.

– Les gens de Dover, dit-elle. De welleslay, de Newton et de Lincoln – leurs gosses vont se planquer dans des facs et des grandes écoles, et ils ont des docteurs pour certifier qu’ils souffrent d’écouphènes, qu’ils ont les pieds plats, des becs de perroquet ou toutes sortes de conneries de ce genre. Et ce sont exactement les mêmes gens qui veulent que je mette ma file dans un bus pour l’emmener à Roxbury, mais qui ne laisseraient pas un Noir faire deux pas dans leur quartier une fois qu’ils ont fait tondre leur pelouse et que le soleil se couche.

Appelez-les niaks, appelez-les nègres, appelez-les youpins, « micks »**, métèques, ritals ou bouffeur de grenouilles, appelez-les comme vous voulez, pourvu que vous leur colliez un nom quelconque qui enlève une couche d’humanité à leur corps quand vous les évoquez.

Elle qui a une vision du monde selon laquelle les règles ne s’appliquent pas qu’aux gens qui ne sont pas en charge de les établir.

Ben tu sais, t’as jamais le sentiment que les choses sont censées être d’une certaine façon mais qu’en fait, elles ne le sont pas ?

– Et je vous écoute, dit Bobby. (…)
– Mais vous ne m’entendez pas.
– Qu’est-ce que je n’entends pas ? (…)
– Le silence.