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Critique de Nastasia-B


Je sais que j'arrive bien longtemps après l'extinction des feux de la rampe avec ce livre, à l'heure où les brasiers ardents sont désormais des tas de cendres d'où ne s'échappe plus guère qu'une menue fumée continue...
Ce roman a connu deux heures de gloire distinctes à quelques années d'écart : l'une à sa sortie en 2003, car l'auteur de Gone, Baby, Gone ; Ténèbres, Prenez-Moi La Main ou encore Mystic River était attendu par les aficionados tel le beaujolais nouveau par les bordées de pochetrons ou l'heure de la migration par les hirondelles grelottant sur leur fil électrique.
L'autre effervescence autour de Shutter Island eut lieu au tournant de l'année 2010, lors de la sortie au cinéma de l'adaptation réalisée par Martin Scorsese avec Leonardo di Caprio et Ben Kingsley dans les rôles principaux.
C'est juste avant cette sortie, fin 2009, que j'ai lu Shutter Island, lecture à la suite de laquelle je suis allée voir le film dans la foulée.
Ce n'est pas sans intérêt à mes yeux que j'aie laissé s'évacuer un peu la chaleur ardente et que j'écrive les pieds dans la cendre tiède. Je pose ainsi mon index sur ma tempe et m'interroge honnêtement : "Que me reste-t-il de cette double expérience plusieurs années après les faits ? " Car d'après moi, c'est là qu'on sait ce qu'un livre ou un film a remué en nous.
Donc, que me reste-t-il ? Une impression bonne, mais diffuse que je vais tenter de vous retranscrire et d'analyser.
Précision numéro 1, vous me connaissez suffisamment pour savoir que je ne souffre guère la comparaison avec les grands adeptes des thrillers, polars et autres romans noirs, qu'on rencontre sur le site, tels Lehane-Fan (ça ne s'invente pas !), Caro64, Carré, Belette2911, Jeranjou et autres authentiques vrais connaisseurs. Gardez à l'esprit que c'est une parfaite béotienne qui vous parle.
Précision numéro 2, avec bientôt 200 critiques au compteur, peut-être n'est-il point besoin de re-préciser les détails du synopsis, où d'ailleurs, pour ce genre d'ouvrage, raconter l'histoire est quelque peu sacrilège car tout réside dans le " fin mot de l'histoire " qu'on découvre dans les toutes dernières pages (assimilable au " mot de la fin " dans ce cas précis) et dans la divulgation progressive et savamment orchestrée par l'auteur d'éléments, dans un ordre bien déterminé.
Je vous en rappelle simplement le thème : psychiatrie et internement des criminels déséquilibrés en établissement spécialisé dans l'Amérique des années 1950. C'est suffisant, vous en savez presque déjà trop si vous n'avez pas encore lu ce livre.

La matière, maintenant. Dans son style ce livre est bien, on pourrait ajouter très bien, voire très très bien fait, même si j'ai souvent du mal à me laisser embarquer dans la fine mécanique de roulage dans la farine de ces auteurs de thrillers, où l'on vous égare, on l'on vous dévoie systématiquement pour vous faire croire et miroiter plein de choses erronées tout en distillant, presque par inadvertance, subrepticement, comme des papiers tombés de la poche, des indices hyper importants, comme pour mieux vous dire après : " Vous voyez, je vous l'avais dit, je vous avais donné toute la clef de l'énigme, mais vous n'aviez pas fait attention, vous n'avez pas réussi à deviner, bande de nazes ! "
C'est donc très bien fait dans ce style, et c'est plaisant et prenant à la lecture. Ne boudons pas notre plaisir, c'est un bon moment d'excitation. Mais comme je suis d'un naturel têtu et obstiné, je repose la question : " Que reste-t-il après, passé la découverte du scénario ? "
Là, ma réponse est plus embarrassée et pour être sincère jusqu'au bout, je vous avouerai : " Probablement pas grand-chose au fond de mes paniers... " C'est un peu comme ces jolis feux de paille qui nous éblouissent mais qui ne nous réchauffent pas ou bien alors ces vins très sexy au palais, dans les premiers instants, et qui retombent comme des soufflets ensuite.
C'est vrai, j'ai tendance à préférer les bourgognes, un peu moins sexy, mais qui tiennent mieux en bouche.
Il est vrai que l'ambiance est bien rendue ; on chemine dans un monde glauque à souhait, où l'on se doute que dès qu'on s'enfonce dans un boyau, un éboulis va se produire, que notre palpitant va s'affoler, que notre adrénaline va s'en donner à coeur-joie. En ce sens, Shutter Island arrive magistralement à atteindre son objectif qui, comme le nom " thriller " l'indique, est de nous faire frissonner l'épine dorsale et claquer nos grosses molaires baveuses en accord avec nos genoux qui s'entrechoquent...
Mais sur le rendu purement littéraire cette fois ? J'avoue ne pas avoir eu tout mon compte. Je vais aller encore un peu plus loin qu'avec ma comparaison oenologique.
Vu que ces ouvrages se prêtent admirablement aux adaptations cinématographiques (alors même que l'on sous estime toujours les capacités d'imagination du lecteur), qu'ils n'en perdent pas leurs attributs ni leur charme à l'écran, ni tout ce qui les rendaient grands (je me fais l'avocate du diable et je sens déjà monter les grondements réprobateurs de la Fronde et je palpe déjà l'inextinguible rancoeur qui se dessine dans l'âme de certains) c'est qu'ils ne sont...
... pas beaucoup plus que des scenarii bien ficelés !
Un peu comme ce que serait le théâtre s'il n'y avait ces fameuses répliques dont tout le monde se souvient au sortir de la salle et qui nous marquent bien souvent pour le restant de nos jours. Imaginez par exemple Cyrano, s'il fallait se contenter du seul scénario, s'il n'y avait pas le " C'est un roc, c'est un pic, c'est un cap..." ? Eh oui, songez-y objectivement, à tête reposée, quand la chaleur est retombée.
Donc, si l'équation : " scénario = littérature " vous convient, vous aurez tout votre compte avec Shutter Island et vous serez même repus.
Si, par malheur, comme moi, vous considérez que " scénario = une partie et une partie seulement de l'ensemble complexe et pluri-axial que constitue l'ouvrage d'art du littérateur ", alors il vous restera peut-être un petit goût d'inachevé. N'est pas Umberto Eco qui veut...
Le seul point où je trouve le livre de Dennis Lehane franchement meilleur que le film de Scorsese, c'est sur le traitement et le développement de la personnalité de Chuck, l'équipier du héros, pendant le premier tiers du livre. Là, il y a un vrai plus, quelque chose qui confine à la littérature que j'aime, c'est-à-dire quelque chose que l'écran ne sait pas bien retranscrire, que seule la texture livresque sait faire vibrer et bien ressentir.
Rien que pour cet avantage, j'aurais tendance à vous conseiller malgré tout plus le livre que le film, mais je considère que les deux se valent, globalement. C'est un bon, un très bon moment, mais pas à mes yeux un moment d'extase littéraire où l'on a envie de noter chaque phrase, comme il m'arrive parfois, et de se les redire dans la tête, tellement on les trouve belles et sonnantes. Et la traduction n'est pas en cause, lorsque je lis du Steinbeck, du Tolstoï, du Hesse, le problème de la traduction se pose et pourtant le verbe m'envoûte.
En outre, ceci n'est bien évidemment que l'avis éhonté d'une novice en matière de polars ou de thrillers, c'est-à-dire, pas grand-chose.

P.S. Qu'on ne me fasse pas dire que je snobe le talent de scénariste de Dennis Lehane, car l'extraordinaire qualité de celui-ci ou bien, s'il est nécessaire d'en juger, sa remarquable contribution à l'élaboration du scénario de l'époustouflante série " The Wire " ("Sur écoute" dans la version française) est là pour en témoigner. Ce que j'exprime simplement, c'est qu'être scénariste ou être littérateur, ce n'est pas tout-à-fait la même chose, tout comme faire les Beaux-arts ou faire les Arts-déco, ce n'est pas non plus tout-à-fait la même chose. D'une certaine manière, le scénariste fait de la littérature appliquée. Ce n'est pas moins noble, c'est juste un peu différent, cela comporte ses contraintes propres et cela vient étayer les armes du réalisateur pour enflammer l'imaginaire du spectateur. le réalisateur possède encore des sortilèges comme l'éclairage, le cadrage, le découpage ou la manière de diriger le jeu des acteurs. L'écrivain, lui, pour envoûter son lecteur, a dans ses prérogatives ce que nul autre ne peut prétendre lui subtiliser, la métaphore, la cadence de ses phrases, l'ajout ou le retrait de la ponctuation, l'expression d'un style, ou tout autre artifice, qui font qu'il est illusoire de vouloir tenter de rendre à l'écran du Proust, du Céline ou du Flaubert. C'est comme ça, on n'y peut rien.
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