En ouvrant un livre je m'intéresse toujours aux coulisses comme au théâtre. le livre de Pierre Lemaître
Couleurs de l'Incendie n'échappe pas à cette règle. Au contraire. Je me délecte de toutes les préfaces comme de tout épilogue. L'auteur généralement nous réserve quelques surprises.
J'adore le terme « reconnaissance de dette » de l'épilogue où
Pierre Lemaître qui rend ainsi hommage à son maître Dumas nous glisse qu'il s'inspire librement d'un certain nombre de faits réels.
Faits réels certes, il a, la vigilance de nous rappeler ces événements qui se sont déroulés des années 1920 jusqu'aux années 1940, mais je serais tenté de penser que dans le même temps, il se référait à des événements bien plus récents et sans citer de dates cet ouvrage
Couleurs de l'Incendie et d'une actualité brûlante.
Ainsi, par la bouche de Joubert il nous avoue "que les politiciens ont fait leurs preuves...Elles sont accablantes. Il ajoute il est grand temps que des hommes apolitiques, patriotes, disent enfin la vérité au peuple français".
Qu'on soit partisan du jaune, du vert, du bleu, du rouge, ou de l'orange plus ronde et parfois amère, j'imagine que la situation que nous connaissons a pu être une source inépuisable de références, pour alimenter le cynisme légendaire de l'auteur..
La grande qualité de
Pierre Lemaître, digne successeur de maître Dumas, c'est de savoir nous faire goûter de l'abondance, un livre commencera par un enterrement chez bien des écrivains, lui en ajoutera un deuxième.
Un certain Monsieur Dupré travailleur de l'ombre pour Madeleine, l'héroïne, ne débusque pas une affaire mais un chapelet de malversations en tous genres.
Quitte à manier le cynisme ne soyons pas avare. Je pense notamment aux surprises qui vont émailler l'expérience industrielle de Monsieur Joubert qui précédemment a brillé à la tête de la banque de feu le défunt Marcel Péricourt. Cette surabondance est bien la marque d'un
Pierre Lemaître qui s'amuse comme un fou et qui souhaite que notre délice de lecture puisse, se déguster avec générosité et gourmandise.
Certes Monsieur Joubert aurait sans doute eut dans la réalité la puce à l'oreille en voyant le comportement énigmatique de celui qui partageait la couche de la belle Léonce Picard. Mme Léonce l'épouse déclarée de Monsieur Joubert.
"Léonce une putain de haut vol, qui dans une clientèle comme celle de l'union bancaire de Winterthour, était comme un général ou un académicien, une garantie de sérieux."
La deuxième grande qualité de
Pierre Lemaître est sa capacité à décortiquer l'âme de ses personnages. Sa verve à fouiller leurs motivations, leurs secrets, leurs défauts, est une source, inépuisable de belles envolées.
J'ai apprécié cette façon de stigmatiser "le sérieux, de l'immense travailleur, comme le calculateur sans états d'âme excessifs, de monsieur Joubert, parfaitement programmé pour devenir banquier, il avait rapidement gravi tous les échelons."
Cette façon de décrire la personnalité de ce banquier est délicieusement juste, et ses manies comme ses habitudes sont pas très éloignées de celles d'un autre banquier qui apparaît dans ce livre, au travers des pratiques de l'Union Bancaire de Winterhour, banque commerciale de Bâle.
Enfin évoquons encore l'impertinence de
Pierre Lemaître à souligner son inaltérable méfiance à l'égard de la religion qui apparaît par les soins très bienveillants d'un serviteur de l'église, écoutons ce qu'il en dit quand Madeleine retourna une nouvelle fois à
Saint-François-de-Sales. "Le prêtre ne s'était pas montré très à l'aise quant aux desseins du Seigneur, mais sur les questions de culpabilité, de mauvaise conscience, de faute et de plaisirs suspects, il était comme un poisson dans l'eau."
Néanmoins pour faire du Dumas il faut aussi mettre en avant une belle âme, cette fois ce sont à Paul et Madeleine que l'on va s'attacher notamment Paul qui est passé de la mort à la vie en restant hémiplégique.
Paul trouvera auprès de la musique et de l'opéra le moyen d'oublier son très lourd handicap. Nous suivons les concerts de la belle et magnifique Solange Gallitano, cette cantatrice qui va l'habiter tout au long de ce roman jusqu'à la tournée espérée triomphale à Berlin.
Madeleine est l'âme de ce livre. Elle passera par bien des vicissitudes et fera de bien sombres découvertes notamment cet
André Delcourt, ce nabot, professeur de son fils Paul, puis un aspirant critique littéraire, qui finira par s'éclater dans le monde du journalisme.
Pierre Lemaitre par cette plume, retranscrira quelques articles des années d'avant guerre, d'une teneur bien déconcertante qui laisse imaginer que la période est une période bien sombre et bien triste qui annonce des jours encore plus sombres.
Couleurs de L'incendie est un puissant roman, qui s'épanouit dans la profusion historique des événements qui entourent la grande crise de 1929, et qui sous la plume d'un Pierre Lemaitre Dumas devient une écriture délicieusement passionnante et jubilatoire.
Je ne peux trop soustraire ces traits d'humour dans le style épuré de l'auteur qui signe là l'une des ses plus belles portées.
Deux qualités indispensables au métier de journaliste : être capable de discourir sur un sujet auquel on ne connaît rien et décrire un événement auquel on n'a pas assisté.
Joubert arriva en compagnie de sa femme qui fut admirée, parce que justement, elle ne ressemblait pas à une épouse.