Citations sur Les nouvelles enquêtes du juge Ti, tome 11 : Guide de s.. (11)
Le portier avait couru prévenir les trois épouses de son retour. Quand il les vit, prêtes à l’accueillir à l’entrée du pavillon principal, Ti traversa la cour sans être remarqué par les enfants et échangea avec elles les salutations des dix mille bonheurs
Le wei, répondit l’homme sans quitter la route des yeux. Le chef de la police. La chancellerie l’a prié de vous accueillir en personne, d’où son humeur. Cette réponse était empreinte d’une totale absurdité. — Le chef de la police ? s’étonna Ti. Et moi, alors, qui suis-je ? — Que Votre Excellence pardonne mon invraisemblable brutalité, répondit le militaire, mais elle n’a pas été nommée général des armées impériales.
C’était certes un grand tort envers les préceptes de Confucius que de privilégier son intérêt personnel au point d’oublier l’esprit de groupe. Par ailleurs, on n’avait pas retrouvé le magot, même après la promesse d’une commutation de sa peine en exil à vie. Le chef de la police était bien placé pour savoir que ces « exils » en des terres malsaines amenaient rapidement la mort de l’exilé ; et s’il ne périssait pas assez vite de maladie ou de mauvais traitements, on l’y aidait discrètement. Cette perspective avait dû priver l’offre de tout poids.
L’idée de voir exécuter son collègue épouvanta le magistrat. Pour une fois, qui n’était d’ailleurs pas la première de sa carrière, il fit un vœu pour qu’un criminel échappât à sa juste punition. Le clerc, qui n’était pas un imbécile, suivit parfaitement ses pensées : — La seule chose qui pourrait le sauver, ce serait un miracle, dit-il avec une expression de regret assez légère pour n’avoir pas l’air d’excuser le crime de son ancien patron.
Il apparut que « l’immonde Nian Changbao » allait avoir le curieux privilège de périr en même temps qu’un assassin qu’il avait laissé filer. Celui-ci, rattrapé par les autorités militaires, l’avait dénoncé sous la torture. Le directeur avait truqué l’enquête et l’avait envoyé se faire oublier à la campagne ! L’assassin avait commis l’erreur de revenir, c’était ce qui leur coûtait la vie à tous les deux.
L’assassin jurait que son bienfaiteur ne lui avait pas demandé un sou, qu’il lui avait même laissé tout son butin pour financer sa fuite. Confié aux mains expertes des bourreaux, Nian Changbao avait affirmé avoir agi ainsi par haine de Leurs Majestés, qualifiées d’adjectifs si orduriers qu’ils n’avaient pas été consignés dans le rapport.
Ti comprenait mieux qu’on insistât tant pour lui faire surveiller les pensées de leurs concitoyens. Il devinait aussi en quoi avait consisté la fameuse « méthode personnelle ». Voilà comment cet homme réduisait la virulence de la délinquance ! En se moquant du monde ! En dévoyant l’équité qui faisait l’orgueil de tout bon mandarin.
Malheureusement pour le criminel, la capitale avait connu au même moment quelques émeutes, en réaction à la corruption des douaniers de l’octroi. Désigné comme responsable de tous les vices et livré à la vindicte populaire, le chef de la police allait payer pour tout le monde.
Ti estima qu’il avait fait assez de découvertes pour une seule journée. Il laissa Zhang Jiawu organiser leurs espions comme il en avait l’habitude et remonta dans son palanquin pour rentrer chez lui. Le trajet fut beaucoup plus long qu’à l’aller, en cette mi-journée où les citadins se pressaient de toutes parts. Même les étendards impériaux ornant son véhicule ne suffisaient plus à lui ouvrir un chemin à travers cette masse grouillante de marchands, de colporteurs et de charrettes. Il lui fallut presque une heure pour rallier le quartier paisible où se trouvait sa confortable demeure de fonction.
Le portier avait couru prévenir les trois épouses de son retour. Quand il les vit, prêtes à l’accueillir à l’entrée du pavillon principal, Ti traversa la cour sans être remarqué par les enfants et échangea avec elles les salutations des dix mille bonheurs.