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Citations sur Un peu tard dans la saison (14)

Chez lui comme chez les futurs éclipsés, cela a dû commencer de manière imperceptible. Des signes, des petits faits qui se sont succédé et qui l’ont amené à franchir le pas. Il a mis un peu moins de deux ans à le faire, à rejoindre sans le savoir la foule invisible qui a signalé le commencement de la fin. Le colonel avait eu raison. L’effondrement a été complet en à peine une décennie. (…)
Mais c’était un sacré taiseux, au fond, pour quelqu’un qui a tellement écrit. Sans grand succès, d’ailleurs… Il y avait bien ces notes sur des carnets, des fragments dans son Mac, mais c’était tout. Et il ne donnait pas l’impression de chercher à en faire un livre. C’était dommage : j’aurais pu convaincre le colonel qu’un écrivain qui racontait sans le savoir ce qui était sur le point de se passer méritait un traitement particulier. Les choses auraient été plus simples.
Mais non, il continuait de publier ses romans noirs dans une veine très politique qui n’effleurait même pas cette question. Ou alors, mais je me dis que c’est une illusion rétrospective, dans sa poésie : d’autres que moi, y compris dans le Service, auraient peut-être pu discerner ce qui était en train de couver dans certains de ses poèmes. Mais qui lisait de la poésie, en ce temps-là ? Dans le Service, on avait bien un département informel qui surveillait la fiction dans la littérature, à la télé ou au cinéma, mais rien pour la poésie. Quelle erreur quand on y songe…
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Une des conséquences secondaires du téléphone portable, par exemple, est une dévaluation de la parole donnée, ou de l’engagement. Il est tellement facile de se décommander que cela devient presque le moyen de se prouver sa propre importance. Le dernier. Car soyons lucides, nous ne sommes plus très importants. Pour personne. Ce n’est pas plus mal, en ce qui me concerne. J’ai hâte de m’effacer. Une journée sans appel m’angoissait, il n’y a pas encore longtemps. Aujourd’hui, quand cela arrive, j’éprouve le soir une manière d’euphorie, un sentiment de victoire éphémère dans une vie qui a ce goût de défaite depuis si longtemps. (…)
L’absence ou l’éloignement étaient une ordalie pour les amants. N’importe quel soldat en opération extérieure, n’importe quel marin au long cours attendait le courrier remis par le vaguemestre ou la poste restante à la prochaine escale. Parfois, c’était triste parce que l’histoire ne tenait pas mais si elle tenait, c’était pour la vie. Aujourd’hui, c’est à peine si le marsouin engagé au Mali qui s’apprête à lancer une grenade dans une grotte des Iforas n’est pas dérangé par un SMS amoureux ou grognon de sa petite amie qui hésite sur la jupe qu’elle va mettre pour sortir.
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Mais ce n’était pas Tavaniello qui m’intéressait, ou en tout cas pas encore. Celui qui m’intéressait, c’était lui. Seulement lui.
Pour tout dire, je soupçonnais à la lecture de ces premières données une certaine part d’histrionisme, mêlée à un sentiment d’égarement. Voilà, il était un égaré. En attendant, comme tant d’autres, de s’effacer, de laisser tomber, de faire un pas de côté et non plus en avant.
En attendant d’être un éclipsé.
Ses fenêtres étaient allumées. Ce n’était pas souvent. Il faisait partie de ces écrivains itinérants qui vivaient de rencontres dans les médiathèques les plus improbables dans la banlieue d’Arras ou au cœur de l’Ariège, de résidences d’écriture au fin fond de la Creuse ou du pays d’Auge, de salons consacrés au roman noir, à la littérature jeunesse ou à la poésie.
Il ne devait pas vouloir dépendre exclusivement de ce que lui donnait la mécène. Les hommes de son âge aimaient se mentir. Le problème, c’est qu’ils se mentaient mal et qu’un jour ils ne se mentaient plus. Alors, au choix, ils buvaient trop, se suicidaient ou, dans les derniers temps, ils s’étaient éclipsés.
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Quand j’ai su qui il était et que je l’ai retrouvé, c’était peu de temps avant les attentats, dans les derniers jours de décembre 2014. Pendant les Fêtes, comme on dit. Il habitait dans un bel appartement, au dernier étage, square Henri-Delormel, dans le XIVe, depuis une quinzaine d’années, date de son arrivée à Paris. On était dix-huit mois avant que le colonel ne me parle de la nouvelle grande peur du pouvoir, l’Eclipse, et de ceux qu’on appelait dans le Service et dans certains cercles du pouvoir les éclipsés, faute de mieux.
L’appartement, il le louait pour une somme dérisoire à sa mécène. Je l’ai appelée comme ça dès que j’ai connu son existence. Je ne voyais pas d’autre mot. Mère maquerelle aurait manqué d’exactitude et aurait sans doute par trop trahi mon a priori défavorable. Ce qui était sûr, c’est que ce n’était pas avec ses droits d’auteur, ses piges et sa participation à quelques scénarios qu’il aurait pu vivre là, avec vue sur la jolie cour et ses immeubles 1930.
La première fois, je suis restée à regarder ses fenêtres assez longtemps, depuis la rue Ernest-Cresson. Je n’avais pas encore d’idée précise de ce que je voulais faire. Ou si, en fait. Mais je ne l’avais pas formulée clairement. L’inconscient : ce genre de choses auxquelles ne croyaient pas les militaires qui ne s’en portaient pas plus mal. Et encore moins les espions.
Alors quand on cumulait, comme moi…
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