Elle ne supportait pas le désordre [de mon père], ses mégots et la plupart de ses copains. Surtout un certain Momo, un copain d'enfance, toujours fourré à la maison. "Il est vulgaire, ce Momo !" disait-elle, ou encore : "Quel macho, ton Momo !" C'était vrai, Momo répétait souvent "couilles, nibards, fils de pute, enculés"... Il avait des costumes de toutes les couleurs et sentait l'after-shave.
Papa critiquait les parents de maman, ton père ci, ta mère là. Il n'aimait pas la campagne, il détestait le Nord, les plages du Nord et les couleurs du Nord. Il ne remarquait pas toujours quand elle préparait un nouveau plat, et il ne voulait pas qu'elle travaille. Mais ils aimaient tous les deux Eddy Mitchell, 'Couleur menthe à l'eau', la couleur des yeux de maman.
- Si tu crois que ça suffit dans la vie ! lui criait-elle quand il chantait pour se faire pardonner.
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C'était mon premier jour de congé, il commençait bien ! Je me disais : "C'est comme un mauvais dimanche, on voudrait tout, il n'y a rien. Les heures passent."
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Il était grand temps de délivrer ma mère de ce monde qui l'usait, la mettait en danger, et auquel elle finirait peut-être par ressembler en vieillissant.
Je le fixais, je ne croyais pas ce que je voyais. Je n'avais pas peur de rencontrer ce regard dont elles parlaient toutes, ces yeux noyés dans les paupières ridées. Des yeux qui, chaque soir, derrière les rideaux de son bureau, surveillaient la sortie des ouvrières. Ces yeux qui n'avaient pas versé une larme lorsque la soeur de Louise avait eu cet accident stupide, trois doigts sectionnés par les ciseaux mécaniques. Trois doigts de la mains droite.
Ces yeux qui, un jour, fixaient sans broncher un homme et son enfant, debout sous la pluie, brandissant une pancarte.
Ma mère et Madeleine étaient parties tôt. Toutes ces démarches imbéciles,après la mort. Tout ce chagrin qu'on ne peut pas vivre tranquille dans son coin. Il faut choisir des fleurs et savoir combien ça coûte. On peut pleurer tant qu'on veut, mais les autres regardent. Et puis, il y a le jour et l'heure. Il faut décider, avoir la force d'y aller, de serrer des mains et de dire merci.
Par hasard, une petite fille s’appelle Nina. Par hasard, un point c’est tout, lui dit sa mère.