Je me suis souvenu d'un graffiti aperçu sur un mur, " Devant l'indifférence générale, demain est annulé".
Les vies d'adultes ne sont que tentatives pour guérir le chagrin de l'enfance inachevée, toujours inachevée...
Depuis que nous ne vivons plus dans la même ville, quelques terrains vagues se faufilent entre nous, ceux de nos imaginaires, qui parfois me font peur. Où es-tu dans l'instant même où je pense à toi, à qui parles-tu? Pourtant j'aime ces zones d'ombre, elles nous permettent de ne pas laisser l'ennui et l'habitude nous grignoter peu à peu.
Les vies d’adultes ne sont que tentatives pour guérir du chagrin de l’enfance inachevée, toujours inachevée. P 85
Les dieux tissent des malheurs afin que les générations futures ne manquent pas de sujets pour leurs chants.
[Borgès]
Lorsque j'ai jeté un œil sur ma montre, hier soir, il était grand temps que je quitte l'agence. J'ai couru jusqu'à la station de métro, je ne voulais pas rater le train pour te rejoindre à l'hôtel des Embruns. Je pensais que, de ton côté, tu étais peut-être sur le chemin de la gare de Nantes. J'essayais de t'imaginer, sac noir sur le dos et petite valise. Depuis que nous ne vivons plus dans la même ville, quelques terrains vagues se faufilent entre nous, ceux de nos imaginaires, qui parfois me font peur. Où es tu dans l'instant même où je pense à toi, à qui parles-tu ? Pourtant j'aime ces zones d'ombre, elles nous permettent de ne pas laisser l'ennui et l'habitude nous grignoter peu à peu.
Tu ne dors peut-être pas, tu as peut-être laissé libre ma place dans le lit, comme les veuves de Noirmoutier dont le souvenir de leur marin disparu flotte dans la moitié du lit qu'elles n'occupent jamais, parait-il, comme si le retour impossible des hommes pouvait ainsi se transformer en résistance éternelle à l'absence. Cette nuit, je suis ton marin perdu.
Je me suis souvenue de ces moments où les corps et les visages figés dans une compassion réelle ou feinte pour soutenir le chagrin des proches du mort donnent à ces instants cérémonieux quelque chose d’artificiel, de presque faux, parfois. Mais je me suis souvenue de larmes versées en chœur, de corps rapprochés, de silences émus et profonds où les vies complices ne sont plus qu’un souffle, qu’un hoquet, une dérisoire et bouleversante tentative de résistance au vide.
Lorsqu'il [ mon grand-père ] est mort, longtemps après ces balades initiatiques, j'ai posé un baiser ému sur son front glacé dans le sous-sol d'un hôpital. J'avais atteint l'âge adulte depuis déjà bien des années, mais j'étais la petite-fille aimante de cet homme qui m'avait tant appris en le regardant vivre. Je me demande si ce n'est pas cet amour qui m'a permis tous les autres. Pourquoi est-ce si difficile de te dire cela très simplement ? Est-ce que je t'aime assez ? Est-ce que l'amour suffit ?
« Des éclairs lointains déchirent le ciel, j’aime l’orage et sa grande colère. » (p. 35)