Citations sur Les mariages entre les zones trois, quatre et cinq (6)
Que sommes-nous, tous autant que nous sommes, pour nous qualifier qui de Chroniqueur, qui de chansonnier, qui de souveraine ou de fermier, d'amant, de précepteur, d'ami des animaux, sinon les aspects visibles, évidents d'un ensemble dont nous faisons tous partie, que chacun d'entre nous contribue à former?
Que nous soyons riches , que nous ne manquions de rien , ne pose problème que dans la mesure oû cela nous fait oublier notre véritable raison d'être. Mais si vous , vous êtes pauvres , sous-developpés , c'est parce-que toutes vos richesses se retrouvent englouties dans la guerre - une guerre stupide , inutile , absurde .
Elles-mêmes ne songeaient qu'à une chose : retourner au plus vite chez elles raconter à tout le monde ce qu'elles voyaient ici - quand bien même cela risquait fort de ne servir à rien, car elles ne pouvaient faire davantage qu'expliquer, encore et encore, que si l'on cessait de consacrer aux activités guerrières toutes les ressources d'une contrée, alors celle-ci dans son ensemble, commencerait à s'épanouir, à prospérer, à s'emplir de détails somptueux. Dans les mains et les esprits de tous vivaient des talents, de l'ingéniosité, qu'il suffisait de nourrir, d'étoffer...
Des gens passaient continuellement de la Zone Cinq à la Zone Quatre, désormais. Et de la Quatre à la Trois – et de chez nous, par le col. Là où auparavant il n’y avait que stagnation, régnait à présent de la légèreté, de la fraîcheur, de la curiosité, ainsi qu’un puissant désir de changement.
Car c’est ainsi que nous voyons tous les choses, désormais.
Et le mouvement ne se fait nullement à sens unique – tant s’en faut.
Nos chansons et nos contes, par exemple, ne sont pas seulement connus dans le royaume détrempé situé « là-bas » – tout comme nous connaissons les leurs ; ils résonnent également sous les tentes ensablées de la Zone Cinq, et autour de ses feux de camp.
C’était par la culpabilité qu’elle se sentait écrasée, quand bien même elle n’aurait pu la nommer ainsi, n’ayant jamais eu conscience qu’un tel état puisse exister. Reconnaissant, parmi les nombreuses émotions accablantes, calamiteuses, qui s’agitaient en elle, qui arboraient tant de nuances, de couleurs et de poids différents, celle qui à force de revenir semblait finalement devenir le fondement, la substance même de toutes les autres, la jeune femme s’imprégna peu à peu de son goût, de sa texture – pour au bout du compte la nommer Culpabilité. Moi, Al.Ith, je suis fautive. Mais chaque fois que cette pensée l’envahissait, une vague de dégoût et de soupçons venait la balayer loin de son esprit. Comment elle, Al.Ith, pouvait-elle être fautive, dans l’erreur ? Peut-être était-elle effectivement devenue l’esclave de la Zone Quatre, mais demeurait encore en elle cette certitude, à la base de toutes les autres, que tout était enchevêtré, mêlé, mélangé, que tout ne formait qu’un ; un individu ne pouvait donc se retrouver seul dans l’erreur, c’était là chose impossible. Si tort il y avait, il ne pouvait qu’être partagé par tout le monde, dans toutes les Zones – voire au-delà, cela ne faisait guère de doute. Cette pensée s’empara d’Al.Ith comme une espèce de rappel : voilà bien longtemps qu’elle n’avait pas réfléchi à ce qui se passait loin des Zones… la jeune femme ne songeait d’ailleurs presque jamais aux Zones Une et Deux – alors même que cette dernière s’étendait juste là-bas, au nord-ouest, au-delà d’un horizon qui semblait comme se plier et se déplier dans du bleu ou du violet… Elle n’avait pas regardé là-bas depuis… depuis… impossible de s’en souvenir.
Plus encore que des ragots, les rumeurs engendrent des chansons. Nous autres, Chroniqueurs et compositeurs de notre Zone, déclarons qu’avant même que les conjoints de cet exemplaire mariage n’aient pris conscience de ce que les nouvelles directives signifiaient pour eux, les chansons nous avaient déjà envahis, et se diffusaient d’un bout à l’autre de la Zone Trois. Et, bien sûr, il en était de même dans la Zone Quatre.
Du Grand au Petit
Du Haut vers le Bas
De Quatre à Trois
Je ne puis aller.
C’était là une comptine d’enfants. Le lendemain du jour où j’avais appris la nouvelle, je les regardais l’interpréter depuis mes fenêtres. Et l’un d’eux se rua sur moi dans la rue avec une « énigme » qu’il tenait de ses parents : si l’on accouple un cygne et un jars, qui prendra le dessus ?
Ce qu’on disait et chantait dans les camps et les casernes de la Zone Quatre, nous préférons n’en laisser aucune trace écrite. Non pas que nous ayons tendance à tourner autour du pot. C’est plutôt que toute chronique nécessite un ton approprié.
Suis-je en train de suggérer que l’un méprisait l’autre ? Non, il nous est expressément interdit de critiquer les Ordres des Pourvoyeurs, mais disons que nous autres, dans la Zone Trois, gardions en tête ces vers de mirliton fort populaires à l’époque :
Trois précède Quatre.
Nous prônons la paix et l’abondance,
Eux – la guerre !