On aurait dit une internée de Saint-Anne en cavale. Ou non, en fait, on aurait dit ma mère.
"Autant, quelques heures plus tôt, la mort de Johnny me semblait dérisoire autant maintenant, elle donnait un écho désagréable à ce que j'étais en train de vivre. J4ai eu la sensation qu'on me volait la vedette. Pire, qu'en ce jour sacré, il était ridicule, voire interdit de pleurer quelques d'autre que Jean-Philippe Smet. Tout ce qui n'avait pas de lien avec Johnny, n'avais pas sa place."
... J'avais vécu 25 ans dans le même pays que ces gens, je regardais les mêmes chaînes télé, faisais mes courses dans les mêmes supermarchés, vivais sous les mêmes lois, mais j'ignorais que ce monde parallèle cohabitait avec le mien.
Je me suis mouchée tellement fort pour éjecter ce bloc qui obstruait le haut de ma tête, que j’ai eu peur de retrouver mon cerveau dans le kleenex.
Maintenant que nous allions bientôt incinérer mon père, j’ai pensé, au moins, il ne risquera plus de se retourner dans sa tombe.
Dans l’impatience, le temps s’arrête toujours, j’ignore pourquoi. Au point où les cinquante-cinq minutes qui me séparaient de l’appel avec mon père ont été interminables.
Ma mère n’a aucune de ses horloges à la bonne heure, elles avancent toutes d’environ 10 à 15 minutes. Pour elle, c’est une garantie de ne jamais être en retard. À mes yeux, c’est surtout une façon de se mettre en permanence sous pression et de chercher à tout contrôler, même le temps. C’est une curieuse manière d’avoir comme une emprise sur le temps et de penser qu’on peut le dominer.
"Je réfléchissais à mille à l'heure, ce qui ne veut pas dire que je réfléchissais bien. En réalité tout s'embrouillait dans mon esprit, mais je devais réfléchir. Je me souviens même réfléchir à ce à quoi je devais réfléchir. Bref, j'étais dans un sale état."
"Je faisais les cent pas sur le trottoir en face de la librairie, le téléphone à la main. J'ai aperçu ma silhouette dans la vitrine de la boutique: un corps frêle s'agitant sans style ni cohérence, juste pour signifier qu'il existe dans l'espace."
J’ai pensé à Laeticia Hallyday. Elle devait avoir rendez-vous à l’Élysée, avec Brigitte et Emmanuel Macron, pour s’entretenir de la cérémonie. C’est là qu’ils allaient décider ensemble de La Madeleine, du protocole, des discours, du dispositif. Dans la petite église Sainte-Thérèse du fin fond de l’Aquitaine, on se questionnait sur un choix de trois chansons et deux prières, et on estimait les convives à cinquante, riverains inclus.