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Citations sur Ombres chinoises (8)

En fait, la duperie est totale, car le propre du système bureaucratique, c'est précisément l'absolue interchangeabilité des bureaucrates : nul remplacement du personnel ne saurait jamais affecter le moins du monde la nature du régime.
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(Chapitre "Bureaucrates")

Si l'on étudie par exemple la période de Yan'an, souvent décrite par de lyriques illettrés* comme l'âge héroïque et fraternel de la révolution combattante, on y voit en fait tous les vices du système, déjà mûrs et étalés.

* Illettré est employé au sens technique de sinologue incapable de lire le chinois.
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Il serait assez injuste de faire grief aux bureaucrates maoïstes de leur lenteur et de leur inertie: le plus souvent, c'est le non-agir qui reste pour eux la seule recette de survie. Comment pourraient-ils marcher de l'avant? Ils doivent régler leur boussole sur la Pensée de Mao Zedong -pôle singulièrement mouvant, insaisissable et inconstant. Jugez-en : il s agit de ne pas verser dans l'erreur de gauche, ni dans l' erreur de droite (quelquefois, comme dans le cas de Lin Biao, l'erreur de gauche est une erreur de droite) ; mais entre ces deux ornières, le cadre cherchera vainement refuge dans la « voie moyenne », car celle-ci constitue une notion féodale-confucéenne. La droite, la gauche et le centre étant également chargés de dangers, il pourrait être tenté de simplement fermer les yeux et d'obéir sans discussion aux injonctions successives et contradictoires du Grandiose Leader. Erreur encore L' « obéissance aveugle » est une notion empoisonnée, inventée par Liu Shaoqi pour poursuivre ses inavouables entreprises de restauration capitaliste. Mais dans cette situation, voici que le cadre hésitant, abattu et timoré voit son courage soudain ranimé par d'audacieux mots d'ordre neufs: il faut oser « nager à contre-courant », « ne pas avoir peur de se trouver mis en minorité », « ne pas craindre la disgrâce, ni même l'exclusion du Parti ». Toutefois avant de sauter à l' eau pour bravement remonter le courant, il ne peut s'empêcher de méditer un instant sur le fait que « le courant de l'Histoire est irrésistible » et que le Parti communiste qui en est l'incarnation, est lui-même « grandiose et infaillible ». Sa résolution fléchit donc, mais on lui rappelle alors qu' « il est légitime de se rebeller »; il va donc passer à l'action, quand survient une nouvelle douche froide : « Il faut en toute circonstance observer la discipline du Parti. » Qui croire? «La vérité est le plus souvent le fait de la minorité »; indication utile, mais dont la portée pratique est singulièrement limitée par un autre axiome de base : « La minorité doit toujours se soumettre aux décisions de la majorité. » Est-ce à dire que les décisions doivent être le produit d un vote? Pas du tout « Le respect du vote majoritaire est une superstition bourgeoise. »
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Il n'est toutefois pas entièrement faux de dire que le culte a perdu de sa stridence originelle : certaines pratiques mises en vogue durant la « Révolution culturelle », ont été récemment découragées, ainsi les concours de vitesse dans la récitation des Citations choisies (certains champions pouvaient réciter les plus longues d'une haleine, non seulement à l'endroit mais A L'ENVERS) et la « gymnastique des citations » (mouvements de gymnastique suédoise qui, au lieu de suivre un air de musique, se réglaient sur les citations du Président : à tel membre de phrase correspondait une flexion des jambes, à tel autre une extension des bras, etc.) ne sont plus en faveur aujourd’hui.
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L'arrêt de mort de la vie intellectuelle chinoise a été prononcé en 1942 à Yan'an par Mao Zedong, dans sa célèbre "Causerie sur les lettres et les arts" ; cette volonté clairement exprimée d'anéantir l'intelligence critique - aussitôt mise en pratique avec l'élimination physique de Wang Shiwei (voir plus haut) - devait trouver dans la suite un champ d'application toujours plus vaste : du "mouvement de rectification" de 1951-52 à la purge de Hu Feng (1955), de la répression des "Cent Fleurs" (1957) aux gigantesques purges de la "Révolution culturelle", la guerre contre l'esprit a constamment gagné en ampleur ; elle n'a jamais changé de nature ni dévié de sa route ; simplement, entre deux purges, diverses raisons pratiques, technologiques, voire même diplomatiques, requièrent périodiquement la réactivation temporaire de divers secteurs de la culture : ces trêves ne sont justifiées que par des impératifs tactiques et n'impliquent aucune altération de la politique culturelle du régime.
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Il est à Pékin un monument contemporain qui, entre tous, symbolise dramatiquement le viol maoïste de l'antique capital : il s'agit du monument aux héros du Peuple. Cet obélisque, haut d'une quarantaine de mètres, dont la base est ornée d'une série de bas-reliefs en margarine, n'aurait par lui-même rien qui puisse particulièrement retenir l'attention, n'était-ce la position privilégiée qu'il occupe, exactement au milieu de la perspective qui relie Ch'ien men à T'ien-an men. Un éternuement si sonore soit-il, ne frappe guère l'attention dans la bruyante cohue d'une gare, mais il n'en va de même par contre si cette expectoration vient exploser dans le majestueux recueillement d'une salle de concert, au point le plus magique et ténu d'une phrase musicale; de même, la formidable signification que prend cette insignifiante bitte de granit, dérive tout entière de la stupidité sacrilège de son point d'insertion. En plaçant ce monument au centre de l'axe sublime qui monte de Ch'ien-men à T'ien-an men, l'idée de l'urbaniste était évidemment de détourner à son profit l'antique aménagement impérial de cet espace, de capter à son avantage le courant mystique qui, suivant le relai rythmé des Portes successives, s'achemine du monde extérieur vers la Cité Interdite, centre idéal de l'univers. L'urbaniste a seulement perdu de vue qu'en déposant son étron révolutionnaire-prolétarien au milieu de cette avenue sacrée, il détruisait très précisément la perspective dont il voulait le faire bénéficier.
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La lutte pour le pouvoir ne connaissant nulle trêve, le régime ne risque guère de tomber jamais à court de boucs émissaires. Comme ces diverses cibles que leur désignent les autorités appartenaient elles-mêmes effectivement à la classe dirigeante, les masses reconnaissent sans peine en elles d'authentiques oppresseurs, et ne doivent pas se faire prier pour les dénoncer avec énergie.
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Le "prolétariat" se trouve redéfini de façon à confondre la base avec le sommet, le peuple avec ses maîtres, et à escamoter ainsi le conflit véritable des opprimés et des oppresseurs.
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