Cet accident faisait partie de ceux qui survenaient parfois. Ce que les jeunes appelaient de la malchance et que les anciens, silencieusement, considéraient comme autre chose, une chose qu'ils ne nommaient pas, qu'ils ne nommaient plus, un souvenir honteux que l'amnésie volontaire reléguerait avec le temps au rang de légende, de conte.
– C'est surtout qu'il vaut mieux garder cela pour vous. Que l'on y croie ou pas, les vieilles légendes ont la peau dure.
Du chagrin peut jaillir l'espoir et des ténèbres peut naître la lumière.
Je suis plus un patron de bistrot, maintenant. Les villageois viennent régulièrement boire un verre et cela suffit à mon bonheur. La concurrence n’est pas rude. Je suis la seule auberge du village.
– Il faut que cela reste ainsi. Nul besoin de réveiller de vieilles croyances.
Le pasteur Samuel se réveilla en hurlant.
Encore ce rêve ! pensa-t-il.
Chaque nuit, son cauchemar se faisait plus précis, plus menaçant. Il se redressa sur son séant et épongea la sueur qui ruisselait sur son front avec la manche de son pyjama. Son souffle commençait seulement à redevenir régulier. L’effet de la peur s’estompait.
— Papa ? Ça va ?
La voix de sa fille provenant de l’autre côté de la porte de la chambre acheva de le ramener à la réalité.
— Ça va, ma chérie. Ne t’inquiète pas, dit-il d’un ton qu’il aurait voulu plus assuré.
— Tu es sûr ?
— Oui. Va te recoucher. Je vais bien.
Il entendit les pas de sa fille s’éloigner, suivis bientôt par le bruit d’une porte qui se referme. Il s’allongea à nouveau et baissa les paupières. Il avait l’intime conviction que quelque chose allait se passer, quelque chose de terrible.
L'homme opposa une faible résistance, mais la force des chiens d'ombre était telle qu'il fut bientôt balloté entre leurs mâchoires telle une poupée désarticulée.
Car Bryan et Suzy le savaient maintenant : du chagrin peut jaillir l'espoir et des ténèbres peut naître la lumière.
Ce qui surprenait Suzy dans tout cela, c'était que des personnes instruites comme le médecin puissent y accorder le moindre crédit, tant ces histoires paraissaient sorties du folklore local. Une mauvaise récole ? C'est le château ! Un enfant né malformé ? Encore le château ! Un accident ? Le château, bien sûr !
– Ne dites pas trop haut que vous allez visiter le château. Les gens d'ici n'aiment pas cela.