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Critique de Bobby_The_Rasta_Lama


"Je suis le genre d'auteur dont les gens pensent que les autres me lisent."
(V. S. Naipaul)

Ah, ces auteurs, et leur chemin épineux vers la gloire !
A certains, un seul livre suffit pour les propulser immédiatement aux sommets, d'autres triment des années durant en attendant en vain un peu de reconnaissance. Et pourtant, à la fin il n'y a que le Temps qui décide de la pérennité de l'Oeuvre, peu importe qu'elle soit écrite avec une plume d'oie, sur une vieille machine Remington ou sur un clavier électronique dernier cri.

Entre nous, avez-vous déjà entendu parler d'un roman appelé "Trilby" ? Cette romance d'une petite Parisienne tombée dans les filets d'un méchant hypnotiseur fût pourtant l'un des plus célèbres "best-sellers" du 19ème siècle finissant, tant en Angleterre qu'en Amérique, et sans doute le premier livre à déclencher une véritable campagne de marketing. Chapeau Trilby, gâteau Trilby, chaussures Trilby, toute une ville baptisée Trilby... bref, le monde anglo-saxon était en proie à une trilbymania incompréhensible même à l'auteur du roman, et elle a fini par mentalement l'épuiser.
Cet auteur était George du Maurier, dessinateur humoristique pour le Punch, et grand ami de l'écrivain Henry James. On connait bien sa petite-fille Daphné, mais qui se souvient encore de George et de cette belle amitié avec James ? de cette satanée "Trilby" ? de toute cette drôle d'époque victorienne, ses phénomènes de mode et de son microcosme littéraire, navigant entre Londres, la campagne anglaise et l'Italie ?

David Lodge le fait dans "L'auteur ! L'auteur !". Cet agréable roman retrace avant tout une partie de la carrière d'Henry James, mais à travers l'écrivain il fait aussi revivre tout le monde littéraire de l'époque. Wharton, Shaw, Wells, Wilde et tant d'autres vont traverser les pages, et vous serez parfois surpris à quel point l'irréprochable gentleman cosmopolite James pouvait être jaloux de leur succès.
Il est presque amusant de constater comment la renommée littéraire de James de son vivant ressemble à ses histoires de fantômes : c'est tout aussi curieux et indéchiffrable. Il jouissait d'une grande estime en tant qu'écrivain, mais en réalité, presque personne ne lisait ses livres. Les rédacteurs étaient honorés de publier ses romans sous forme de feuilleton, mais étaient toujours soulagés de passer à quelque chose de plus "trilbyesque", qui plaisait davantage aux abonnés. Trop opaque. Trop pessimiste. Trop long. Trop d'intériorisation... pourtant, James n'était pas enclin aux concessions, sachant que ses écrits sont bons. Alors, pourquoi le succès ne semble toujours aller que vers les autres ?

Lodge se base sur les documents et les correspondances, et (comme il l'admet dans la préface) il ne peut qu'imaginer ce qui se passait dans la tête d'Henry James pendant toutes ces années d'essais et d'échecs, mais il le fait fort bien.
Les romans se vendent mal, alors Henry tente de percer dans le milieu théâtral. le "clou du spectacle" absolu de ce roman sont les passages qui parlent de la soirée de la première représentation de son "Guy Domville", l'ultime tentative après quelque pièces accueillies assez tièdement. Lodge fait alterner le déroulement de la pièce au théâtre avec les tourments de James, épuisé par d'éternelles demandes de retravailler, raccourcir et égayer sa pièce, et tellement stressé qu'il n'ose même pas assister à la première. Il va voir en attendant la nouvelle comédie De Wilde dans le théâtre voisin, totalement incapable de se concentrer sur quoi que ce soit, à part le succès tonitruant De Wilde. Un de plus, tandis que lui... Mais le public est tout aussi bruyant à la tombée du rideau sur "Guy Domville", où James se pointe au tout dernier moment, en les entendant réclamer l'auteur. Mais quelque chose est différent par rapport à la pièce De Wilde...

Si on a toujours reconnu la valeur des ouvrages de James, et surtout si vous les appréciez personnellement, vous ne pouvez que compatir avec ce gentleman vieillissant, même si le roman est loin de le montrer sous un angle flatteur. Ne jamais s'emporter, ne céder jamais à la vulgarité ni aux émotions excessives. Peut-être par peur de trop se dévoiler ? Certains sont pourtant ainsi faits, et il n'y a que leurs amis pour comprendre. Henry James en avait beaucoup, certains très proches. Comme ce dessinateur semi-aveugle de Punch, ou comme Constance, fille de James Fenimore Cooper, avec laquelle il ne s'est jamais marié. James le réservé, James le distant, James l'indécis...
Lodge met en scène un grand nombre de personnages intéressants dans cette Angleterre si puritaine, qui contraste avec l'insouciance et la "modernité" américaines, à leur façon tout aussi puritaines (les romans de James débordent de ce contraste) et avec les moeurs libres des Français (ah, ce Maupassant !).
Je donnerais volontiers cinq étoiles rien que pour le bref passage sur la visite d'Alphonse Daudet à Londres, je vais donc garder cette note pour l'ensemble.
Une note toute subjective : comparé aux autres romans de Lodge (lus toujours avec plaisir, et oubliés aussitôt avec succès), c'est sans doute celui que j'ai apprécié le plus. Même s'il peut paraître un peu long et légèrement pessimiste, sans parler de l'omniprésente intériorisation... mais quel auteur est parfait ?
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