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Critique de ValentinBfr


Si Jack London est un écrivain bien connu du grand public pour ses romans d'aventure (Croc-Blanc, L'Appel de la forêt), il est également un auteur engagé dont le militantisme social rayonne dans la majeure partie de son oeuvre. C'est dans la droite ligne de cet engagement contre la précarité et la violence que London rédige L'Apostat en 1906. Cette brève nouvelle fut d'abord publiée dans le Woman's Home Companion ; journal féminin qui s'était donnée pour ligne éditoriale de dénoncer les conditions de travail des enfants aux Etats-Unis au début du XXème siècle.

L'Apostat raconte l'histoire de Johnny, un jeune californien de 12 ans, travaillant dans l'usine de tissage de son village pour épauler sa mère et subvenir aux besoins de ses jeunes frères et soeurs. En dépeignant la vie miséreuse de Johnny, Jack London livre un cinglant réquisitoire contre le travail des enfants et, plus généralement, une violente critique du paradigme capitaliste paternaliste qui prévalait à l'époque.

Né dans l'usine de tissage qu'il rejoindra plus tars lorsqu'il aura atteint l'âge de six ans, Johnny est un nourrisson dont l'avenir semble tout tracé dès les premières secondes de son existence. le choix de ce tableau quasi-zolien pour la naissance du protagoniste principal est un choix délibéré de London pour souligner, en creux, la puissance du déterminisme social dans le milieu ouvrier de la fin du XIXè/début du XXè. Johnny n'échappera pas à son destin sacrificiel et se retrouvera contraint de travailler à l'usine dès son plus jeune âge pour apporter à sa famille les quelques dollars supplémentaires qui permettront de financer l'éducation de ses frères et soeurs (notamment Will et Jennie). Présenté comme un ouvrier modèle, Johnny est toutefois condamné à subir une routine ouvrière moribonde qui l'extraira rapidement de la candeur de l'enfance. le portrait psychologique dressé par London est sans appel, du haut de ses douze ans Johnny est décrit comme un vieillard neurasthénique détruit par les cadences infernales de l'usine. L'incapacité chronique de Johnny à ressentir et à s'émouvoir illustre en réalité la déshumanisation des enfants travaillant à l'usine. Pour parachever la déshumanisation de son personnage, London entretient une confusion de plus en plus importante entre le personnage et sa machine. A cette fin, London accentue, au fil des lignes, le contraste entre, d'une part, les capacités productives exceptionnelles de Johnny et, d'autre part, l'abrutissement quasi-total de son esprit et la destruction de son âme. On retrouvera cette intuition quelques années plus tard dans l'ouvrage de Georges Bernanos, La France contre les Robots, qui alertera sur l'aliénation de l'homme par la technique en y voyant "une conspiration contre la vie intérieure".

Néanmoins, après une ellipse narrative de quelques années, Johnny tombe malade, pris d'une forte grippe et se retrouve dans l'incapacité de travailler. Au fil des jours de son incapacité, Johnny semble reprendre goût à la vie. A la fin de sa convalescence, il refusera de retourner à son poste de travail malgré les craintes et les injonctions de sa mère. En effet, ses quelques journées de repos lui ont permis de prendre conscience de sa condition misérable. Cherchant à s'extirper du monde productiviste où s'est imposée la gouvernance par les nombres, Johnny décide de quitter le domicile familiale. L'épilogue ne présente aucune surprise et s'inscrit dans la plus pure tradition londonienne : Johnny s'évade et embarque clandestinement dans un train de marchandises. Vagabondage et onirisme pour s'arracher à une réalité trop abrupte sont deux issues récurrentes des textes de l'auteur américain. L'auteur usera des mêmes procédés dans son plaidoyer contre la violence en milieu carcéral, le Vagabond des Etoiles qu'il fera publier quelques années après L'Apostat, en 1915.
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