Il y a des éblouissements de poésie dans ce roman, et des horreurs datées liées au contexte d'écriture.
Les horreurs datées, c'est le contexte colonial qui fait décrire par l'auteur les pratiques culturelles des peuples africains rencontrés comme barbares et sauvages : de la musique présentée comme sans rythme, des griots qui ne seraient que des parasites sans talent, des constructions qui ne sont que des amas de poussière... Et surtout, les femmes, mêmes les plus belles, sont rapprochées des singes. Fatou est ainsi à chaque fois décrite avec insistance par sa couleur et son "masque" simiesque au lieu d'un visage. le contexte qui fait frémir, c'est aussi les rapports de force entre les sexes, la domination totale des hommes sur les femmes, et sur les filles, qui se double de la domination coloniale : Jean accepte la prostitution, il ne recule que devant la pédophilie - contrairement à la plupart des autres soldats. Mais ensuite, il commence sa relation avec Fatou alors qu'elle est à peine nubile, le texte le dit clairement. Et quand leur relation devient compliquée, quand ils se disputent, il la bat violemment.
Le roman présente cependant peu les rapports de force coloniaux, les relations entre Blancs et Noirs, entre colonisateurs et colonisés : l'aspect économique n'est pas du tout mentionné ; quant aux saphis, ils semblent surtout passer leur temps à attendre, pas à faire une guerre de conquête, ni à dominer.
Mais il y a les beautés poétiques de ce roman, ses descriptions. Jean n'est pas amoureux de Fatou, ou alors pas tout le temps. En tout cas, il aime d'abord cette terre africaine. C'est lorsqu'il croit quitter son affectation qu'il s'en rend compte, il regrette plus
le désert, le climat, les odeurs, les sons, le kous-kous même, que Fatou. C'est un amour charnel, physique, pour cette terre, qui mobilise tous ses sens. Il y a une véritable union - communion même au sens spirituel - entre lui et l'Afrique. Et ce sont ces belles descriptions, avec une opposition continuelle entre
le désert et les montagnes boisées des Cévennes, qui donnent au texte son intérêt, malgré ses horreurs comme je l'ai mentionné, malgré son manque de véritable intrigue également, Jean agissant peu, réfléchissant peu, se contentant de contempler, comme le récit et donc le lecteur finalement.